Billet radio pour la Première (RTBF), 14 septembre 2010 – Ecoutez en podcast
Beaucoup se sont étonnés, voire émus que l’écrasante majorité des faits évoqués sont prescrits. Seule une quinzaine de dossiers sont ultérieurs aux années 80, et la plupart des victimes ont entre 40 et 70 ans. On peut se demander pourquoi ce sont essentiellement des faits prescrits qui sont parvenus à la commission Adriaenssens. Faut-il vraiment croire que de tels agissements auraient brusquement diminué parce que, depuis 30 ans, les prêtres n’officient presque plus dans les collèges et les internats ?
C’est possible mais ça me paraît trop simple. Il y a peut-être une explication complémentaire, liée à la nature même de cette commission : de manière massive, des victimes qui s’étaient tues parfois durant des dizaines d’années se sont ouvertes à une instance qui ne soit ni l’Église, ni une autorité. Quelque chose qui soit simplement une instance de recueil de parole. Eh bien, la fonction remplie malgré elle par la commission est celle d’une catharsis qu’on a rencontrée ailleurs – les exemples les plus proches qui me viennent sont les tribunaux gachacha au Rwanda ou les commissions « pardon et vérité » en Afrique du Sud ; dans ces deux situations africaines, l’idée était d’échanger une parole contre une forme de pardon. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles étaient parvenues à recueillir la parole des victimes, et même souvent les aveux des bourreaux précisément parce qu’elles n’étaient pas administratrices de la justice. Si elles l’avaient été, les langues ne se seraient pas déliées – et je ne parle pas de la langue des bourreaux mais bien de celle des victimes. Étrangement, en garantissant l’absence de conséquences, on libère la parole. Et tout comme pour la commission Adriaenssens, ça laisse songeur. Il est donc possible que certaines victimes aient trouvé la force de libérer leur parole précisément parce que les faits sont prescrits ; parce que pour une fois les faits pouvaient être dénoncés sans confrontation avec l’agresseur et la machine judiciaire, mais dénoncés tout de même ; parce que l’occasion était donnée de se délivrer d’une souffrance sans les complications qui accompagnent normalement un tel déballage. Quand une victime écrit « Je ne demande rien. Je veux juste que vous sachiez », on est exactement là-dedans.
En ce cas, quelles sont les raisons d’une telle appréhension ? Le sentiment injuste de culpabilité des victimes devant des actes commis par des hommes ayant autorité sur eux, peut-être ; le manque de confiance dans la justice et dans l’Église, probablement ; mais certainement aussi une pudeur très humaine, une envie de garder sa souffrance pour soi et d’éviter les confrontations. Le fait qu’autant de victimes se soient livrées dans un même mouvement va amener un réconfort collectif ; à chacun, cela envoie un message : « vous n’êtes pas seul ». Espérons que cela poussera aussi des victimes de faits non prescrits, dans le milieu de l’Eglise ou ailleurs, à libérer leur parole, et à réclamer justice. Pas seulement pour se reconstruire, eux ; mais aussi pour sauver celles et ceux que, jusqu’à ce jour, la douleur rend encore muets.
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On ne sauvera jamais ceux que la douleur enferme encore dans un silence obligatoire. L’explosion commune de toutes ces affaires leur donne raison. La parole n’a pas de poids, elle n’en prend qu’avec le temps et la quantité de voix qui finissent par se délier…A quoi bon parler, avouer une infamie dont les victimes se pensent irrémédiablement coupables? Leur parole n’a aucun poids, l’histoire est là pour le prouver. On s’indigne , on est boulversé, mais qui d’entre nous pourtant se souvient de ces autres voix qui ont tenté de dire l’impensable lorque celui-ci avait commencé à être dévoilé……
Belle chronique, pleine de justesse et de nobles sentiments, mais le vous n’êtes pas seul me paraît bien amer!