Billet radio pour la Première (RTBF), 19 octobre 2010 – Ecoutez le podcast
« Le SIDA ? Ce n’est pas une punition. On pourrait tout au plus le considérer comme une forme de justice immanente ». Ces propos ont choqué quasi unanimement. Et s’ils sont certes condamnables, Monseigneur Léonard manipule pourtant ici des concepts qu’il faut prendre le temps d’expliquer. Il faut le rappeler, Léonard a aussi enseigné la philosophie. Il est d’ailleurs l’auteur d’une thèse, brillante paraît-il, sur la logique de Hegel, un philosophe allemand systématique. Vous verrez, cela a son importance.
Monseigneur a voulu jouer finement en usant expressément du concept d’immanence, qui est en philosophie le contraire de la transcendance, qui est, lui, le concept religieux habituel. Une justice immanente, comme l’a dit Léonard lui-même, ce n’est pas une punition divine qui fait intervenir une main de Dieu punissant le pêcheur. L’immanence, cela renvoie un système intérieur. Cela signifie qu’il y a bel et bien, pourtant, un système cohérent, c’est-à-dire un ordre des choses avec ses propres lois. On est dans l’horizontalité et non dans la verticalité, si vous voulez, mais il y a une règle tout de même – d’où le parallèle avec la nature, et l’idée qu’on se prenne un retour de boomerang lorsqu’on maltraite l’environnement, par exemple. C’est ce qu’il y a de subtil dans le mécanisme intellectuel : ce n’est pas le Dieu vengeur de l’Ancien Testament qui punit individuellement les sidéens et les séropositifs, c’est notre propre comportement global contre l’ordre des choses qui est en cause. En fait, la logique sous-jacente est la même que celle de l’intelligent design, ce concept créationniste qui accepte les acquis de la théorie de l’évolution mais en expliquant qu’il y a sens déterminé, immanent. Eh bien, c’est cela qu’il faut relever : depuis un certain temps, nous nous trouvons en présence d’un mouvement religieux qui tente de revivifier la fois sur la base intellectuelle du doute, en retissant le lien antique entre le religieux et les lois de la nature qu’on ne maîtrise pas tout à fait.
C’est malin, évidemment, parce que le lit de la religion, hier comme aujourd’hui, c’est ce que l’on ne peut pas expliquer. Mais l’immanence, dans le cas présent, est, si j’ose dire, un cache-sexe de la transcendance. En effet, pour qu’un ordre des choses fonctionne, pour qu’il ne soit pas le pur fruit du hasard et de la contingence, il faut bien supposer qu’il a été mis en place par une transcendance… c’est ça qu’il y a de non-dit dans la réponse de l’archevêque Léonard : il n’y a pas d’immanence sans une transcendance qui s’en porte garant. Et c’est parce que, intuitivement à tout le moins, la plupart des lecteurs de ces propos l’ont compris que les réactions sont légitimement indignées. Malgré la précaution oratoire visant à dire que ce n’est pas une punition directe, tout le monde a bien compris qu’on parlait bel et bien d’une punition tout de même, indirecte car liée à une infraction à l’ordre des choses créé par Dieu.
Le fait que des responsables religieux développent un message culpabilisant et moralisateur n’a rien de neuf ; peut-être, au contraire, cela devrait-il nous faire réfléchir au fait que nous soyons choqués parce qu’une Eglise est en décalage avec la société, alors que, après tout, le but d’une religion n’est pas d’être une démocratie ou d’être en phase avec la société.
Ce qui est neuf, par contre, c’est que personne ne semble plus dupe des tentatives de faire porter le poids de cette culpabilité sur des concepts et non sur une foi. Cela signifie simplement que, si l’Église ne manque pas de ressources en termes d’intelligence cérébrale, il lui manque décidément quelque chose en matière d’intelligence émotionnelle. Or, celle-là, elle ne s’apprend pas en priant ou en lisant des livres, mais en se prenant des gifles. Tous les espoirs sont donc permis.
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Le message culpabilisant n’a rien de neuf certes, sauf qu’aujourd’hui certaines vérités , comme tu le soulignes si bien dans un de tes billets précédents, ont enfin été révélées à ce peuple que l’on moralise si facilement. La punition directe!. Quelle aberration justement!Notre propre comportement désorganise l’ordre des choses…Une eglise (pas de grand E à cette institution!) en décalage? Pas du tout une église bien ancrée dans une société manipulatrice et usurpatrice. Qui viole et ment, qui sourit en torturant.
Nécessaire cicatrice?
« Monseigneur a voulu JOUER finement »
au lieu de
« Monseigneur a voulu joué finement »