Billet radio pour la Première (RTBF), 10 mai 2011 – Ecoutez le podcast
Mon cher Arnaud, vous qui êtes jeune, si jeune que même moi ça me déprime, vous êtes sûrement de cette génération rompue aux blagues absurdes de la série « Paf, le chien ». Eh bien, reconnaissons que les États-Unis nous en racontent une bien bonne, depuis une semaine, dans la même série en nous proposant « Plouf le terroriste », l’histoire du raid contre Oussama Ben Laden.
Oui, je vous l’avoue : lundi dernier, quand j’ai été réveillé par l’annonce qu’on avait trouvé, tué et balancé à la mer le terroriste le plus recherché, j’ai cru à une blague. Le coup de l’immersion comme chute, en particulier, est tellement énorme qu’on croirait que les États-Unis entretiennent un plaisir particulier à alimenter la suspicion. Ainsi donc, en moins de deux heures, on trouve l’ennemi numéro un, on l’abat et on le fait proprement disparaître de la surface de la terre. Le symbole est percutant : à part l’envoi dans l’espace, il n’y a pas de manière plus radicale, plus expéditive, plus définitive d’annihiler quelqu’un. Il y a quelque chose de très fort dans le fait de refuser une sépulture à un homme, fut-il le pire criminel ; il s’agit d’éviter tout pèlerinage, bien sûr, mais aussi de faire passer un message à ceux qui voient en lui un modèle. Annoncer fièrement qu’on a respecté quelques rites musulmans – excepté le léger détail d’avoir substitué un largage dans l’océan à une tombe à ras de terre parallèlement à la Mecque – ne sert qu’à atténuer l’onde de choc, et paraît au mieux naïf, au pire cynique.
C’est très illustratif de la mentalité américaine : un culot et un courage qui forcent l’admiration, un idéalisme de peuple élu sûr de lui, mais enrobé d’une naïveté infantile, d’une vision manichéenne, où le monde se divise entre ceux qui aiment les États-Unis et ceux qui les détestent, et où les ennemis de nos ennemis sont nos amis. Il y a un problème ? On le règle, il n’y a plus de problème. On nous attaque ? On réplique durement, et s’il le faut on torture, car nos valeurs sont supérieures. On a tué le monstre et on l’a balancé à la flotte au lieu de le juger ? Oui, mais comme on a respecté deux-trois rituels, nous montrons que nous, nous sommes humains, et que donc ce n’est pas grave.
Il est vrai que juger Ben Laden, c’était ouvrir la porte du doute, là où le public et les électeurs aiment les choses simples. C’était juger des actes odieux et criminels, au risque d’offrir une tribune, mais c’était aussi revenir sur la biographie sulfureuse d’un terroriste armé par les Américains lorsqu’il combattait les Soviétiques en Afghanistan, avant de retourner le fanatisme de son jihad illuminé contre ses anciens alliés. C’était rendre hommage aux 3.000 victimes du 11 Septembre, mais c’était aussi inévitablement jeter un œil à toutes les victimes de cette décennie lancée par l’effondrement des Twin Towers ; celles des terroristes à Londres, Madrid, Bali, mais aussi celles des guerres civiles d’Irak et d’Afghanistan, consécutives de la guerre contre le terrorisme. Rappelons que rien qu’en Irak, le bilan ne se chiffre pas en milliers, mais en centaines de milliers de victimes, essentiellement par un terrorisme prospérant sur le chaos.
Toujours est-il que le flou qui entoure la disparition de l’ennemi public n°1 n’est pas prêt de s’estomper. Certes, la polémique sur l’absence de photo ne durera pas – gageons qu’au 21ème siècle d’internet et de Wikileaks, elle sortira tôt ou tard. Mais pour pouvoir sereinement proclamer que « justice est faite » avec Barack Obama, il faudra encore expliquer comment Oussama Ben Laden a bien pu résister sans arme à 40 militaires américains au point que lui tirer une balle dans la tête semblait la seule issue nécessaire pour l’appréhender sans risque. Il faudra ôter le doute, ancré dans le non-dit, ce doute qui subsistera encore, lui, lorsque la poussière de la joie légitime d’avoir tué un monstre sera retombée: le prix Nobel de la paix 2009 a-t-il supervisé, ordonné et couvert une exécution ?
A ceux qui estiment que c’est un détail au regard du criminel qu’était Ben Laden, osons rappeler que c’est là que le diable se cache. Osons rappeler que Churchill, Truman et De Gaulle, en 1945, ont eu le cran de choisir de traîner les criminels de guerre nazis à Nuremberg, alors que leur exécution sans sommation aurait été au moins aussi joyeusement saluée par l’opinion publique alliée que la mort de Ben Laden par cette foule patriote scandant « USA » devant la Maison Blanche. Osons rappeler que justice n’est précisément pas accomplie lorsqu’elle est vengeance… sauf à se préparer à de nouvelles guerres contre la « justice » de l’autre.
Oui, c’est peut-être l’ensemble d’une décennie sanglante qui s’est close ce 2 mai 2011. Mais le débat entre les moyens et les fins – c’est-à-dire celui de nos valeurs – ce débat-là, lui, ne fait que commencer.
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François,
C’est vrai,n’eut-il pas été préférable d’envisager un procès ,tout comme pour les nazis en 45?
Mais la politique a ses raisons qui seront connues bientôt ou …………dans 50 ans!
Ben L (tout comme d’autres fous,dictateurs) a été aidé en son temps par les USA.
Je crois en effet que le procès de 1945 avait également pour but d’imposer la démocratie face au bloc communiste et d’autres évènements politiques de l’époque.
N’en serait-il pas de même avec Ben L ?
Ne serait-ce pas un message de fermeté vers d’autres acteurs politiques dans la région ou le monde?
Bonne journée,