Faut-il interdire les spectacles de Dieudonné ?

Interview dans La Libre Belgique, 7 janvier 2013

llb_20140108_nam_libre_001.pdf.MFaut-il interdire ses spectacles comme le demande Manuel Valls ?

Non. Une démocratie doit éviter d’interdire a priori. En agissant de la sorte, les autorités françaises se soumettent à l’émoi et offrent à Dieudonné la consécration qu’il recherche comme martyr du « système ». La démocratie en a vu d’autres. Dieudonné n’en constitue pas un danger, mais un dommage collatéral. En France comme en Belgique, la loi cadre déjà ce qui constitue un discours raciste ou antisémite, et possède une justice apte à trancher la question au cas par cas – ce qu’elle a fait et continuera à faire dans le cas de l’intéressé. On peut agir a posteriori sur cette base légale. Mais il est essentiel de tolérer l’expression d’idées et de propos qui « heurtent, choquent ou inquiètent« , pour reprendre la célèbre jurisprudence « Handyside » de la Cour européenne des droits de l’homme. Avec Dieudonné, on est servis : ses propos tout à la fois heurtent, choquent et inquiètent, parce qu’il a décidé de faire de ces limites de la liberté d’expression son propre gagne-pain.

Comment doit-on alors réagir dans une démocratie ?

Garder son calme, poursuivre en cas d’infraction… et faire appliquer les condamnations; c’est d’ailleurs là que le bât blesse pour Dieudonné, qui parviendrait à éviter de payer ses amendes. Mais il ne faut pas remettre en cause la liberté d’expression à chaque fois que quelqu’un en teste les limites. C’est à la justice de vérifier les intentions des auteurs des propos, et d’analyser dans ce cadre le contexte dans lequel ils sont tenus. Nous avons affaire à un humoriste de talent doublé d’un homme d’affaires ayant saisi que la société est en plein malaise sur les notions d’identité, de racisme et d’histoire, et qui a décidé d’en faire son business en adoptant une position de caméléon inversé, prenant la couleur opposée de tout ce qu’on essaie de lui appliquer. Le problème, c’est qu’au départ d’un humour assez consensuellement corrosif, il s’est mis à pratiquer l’escalade en se nourrissant des besoins de son public. De caméléon inversé, Dieudonné est encouragé par son succès et par sa posture de combattant à franchir de plus en plus nettement les limites qui le séparent de l’appel à la haine. Si c’est le cas, laissons les tribunaux le confirmer, et cessons de lui offrir victoire médiatique sur victoire médiatique au nom du « buzz ».

Comment expliquez-vous le succès de Dieudonné ?

En comprenant qu’il se pose comme le simple miroir de ses spectateurs. Il fédère donc un public disparate, depuis les démocrates antisystème convaincus que le monde est dirigé par une oligarchie de puissants jusqu’aux antisémites les plus purs. C’est d’abord du vide et du bon commerce. Ainsi en va-t-il de la quenelle : c’est au public de choisir s’il s’agit d’un salut nazi inversé ou d’un simple bras d’honneur. Très habile : « c’est vous qui choisissez, et si vous voulez la faire avec une intention antisémite, ce n’est pas de ma faute ». Dieudonné pourra toujours se retrancher derrière la carte « humour ». Ceci étant, avec ou sans Dieudonné, cette affaire expose un vrai malaise autour des notions identitaires, et du chaos ambiant de paranoïas, et de syndrome des agendas cachés. Il suffit, dès lors, que quelques voix prennent avec talent les oripeaux du contestataire pour se voir suivies par une multitude qui voit dans son sort le fruit d’un complot ourdi par les puissants – le système, la juiverie internationale et la finance, comme d’habitude. Je comprends qu’une large partie des fans de Dieudonné ne soit pas antisémite et viennent rire avec ce trublion qui teste les limites du politiquement correct. Mais lorsque, goguenard, Dieudonné regrette pour Patrick Cohen que les chambres à gaz n’existent plus ou fait chanter « Shoah-ananas« , il sait qu’il répond à une demande d’une partie de ses spectateurs, qui rient alors aux éclats. C’est cet échange avec le public qui est glaçant : ni Dieudonné, ni son public « soft » ne peut faire comme si ces rires n’enrobaient pas, aussi, du premier degré.

Entretien : Thierry Boutte

Sur le même sujet:

Dieudonné et le triomphe du vide

L’impasse moralisatrice de la lutte contre le racisme



Catégories :Interventions & presse

8 réponses

  1. A reblogué ceci sur raimanetet a ajouté:
    Contre vents et marées … Dieudonné … est l’ apôtre de la « quenelle » …

  2. Envers et contre tout … Dieudonné … reste l’ apôtre de la « quenelle » …

  3. D’abord on accuse Dieudonné de véhiculer des propos antisémites pendant ses spectacles ( en sachant que la loi l’interdit), ensuite on dit : oh mais non il ne faut pas interdire ses spectacles car il doit rester libre de parler…antisémite ? On peine à suivre la logique des bienpensants autoproclamés. Pour rappel, seul le pouvoir judiciaire est habilité à sanctionner Dieudonné. Si des journaleux sont choqués, qu’ils portent plainte et assument leur fiel dans les limites de la légalité. Sinon, c’est de la calomnie. Comme Dieudonné n’est pas juif ni musulman, on peut le calomnier en toute impunité ? Voilà la leçon que je retiens de tout ce bruit à cause du  » vide » produit par Dieudonné. Et pendant ce temps, l’Europe continue à produire des chômeurs et à en importer. Merci aux chasseurs de quenelle antisémite de nous distraire de la réalité … Continuons à craindre un éventuel retour des nazis en laissant les vrais despotes meurtriers proliférer à l’aise en Europe. Encore merci à Dieudonné de ressasser du « vide ».

    • J’aime les billets de François; celui-ci ne « casse » pas du Dieudonné par reductio ad hitlerum comme le fait 99% de la presse. Et j’aime cet avis de anti-ananas qui apporte encore pertinence et subtilité à la vision de François sur « le vide brassé » (du pour et du contre, ça se discute volontiers).

      • Faut-il interdire les spectacles de Dieudonné ?
        by François De Smet

        Interview dans La Libre Belgique, 7 janvier 2013

        llb_20140108_nam_libre_001.pdf.MFaut-il interdire ses spectacles comme le demande Manuel Valls ?

        Non. Une démocratie doit éviter d’interdire a priori. En agissant de la sorte, les autorités françaises se soumettent à l’émoi et offrent à Dieudonné la consécration qu’il recherche comme martyr du « système ». La démocratie en a vu d’autres. Dieudonné n’en constitue pas un danger, mais un dommage collatéral. En France comme en Belgique, la loi cadre déjà ce qui constitue un discours raciste ou antisémite, et possède une justice apte à trancher la question au cas par cas – ce qu’elle a fait et continuera à faire dans le cas de l’intéressé. On peut agir a posteriori sur cette base légale. Mais il est essentiel de tolérer l’expression d’idées et de propos qui « heurtent, choquent ou inquiètent », pour reprendre la célèbre jurisprudence « Handyside » de la Cour européenne des droits de l’homme. Avec Dieudonné, on est servis : ses propos tout à la fois heurtent, choquent et inquiètent, parce qu’il a décidé de faire de ces limites de la liberté d’expression son propre gagne-pain.

        Comment doit-on alors réagir dans une démocratie ?

        Garder son calme, poursuivre en cas d’infraction… et faire appliquer les condamnations; c’est d’ailleurs là que le bât blesse pour Dieudonné, qui parviendrait à éviter de payer ses amendes. Mais il ne faut pas remettre en cause la liberté d’expression à chaque fois que quelqu’un en teste les limites. C’est à la justice de vérifier les intentions des auteurs des propos, et d’analyser dans ce cadre le contexte dans lequel ils sont tenus. Nous avons affaire à un humoriste de talent doublé d’un homme d’affaires ayant saisi que la société est en plein malaise sur les notions d’identité, de racisme et d’histoire, et qui a décidé d’en faire son business en adoptant une position de caméléon inversé, prenant la couleur opposée de tout ce qu’on essaie de lui appliquer. Le problème, c’est qu’au départ d’un humour assez consensuellement corrosif, il s’est mis à pratiquer l’escalade en se nourrissant des besoins de son public. De caméléon inversé, Dieudonné est encouragé par son succès et par sa posture de combattant à franchir de plus en plus nettement les limites qui le séparent de l’appel à la haine. Si c’est le cas, laissons les tribunaux le confirmer, et cessons de lui offrir victoire médiatique sur victoire médiatique au nom du « buzz ».

        Comment expliquez-vous le succès de Dieudonné ?

        En comprenant qu’il se pose comme le simple miroir de ses spectateurs. Il fédère donc un public disparate, depuis les démocrates antisystème convaincus que le monde est dirigé par une oligarchie de puissants jusqu’aux antisémites les plus purs. C’est d’abord du vide et du bon commerce. Ainsi en va-t-il de la quenelle : c’est au public de choisir s’il s’agit d’un salut nazi inversé ou d’un simple bras d’honneur. Très habile : « c’est vous qui choisissez, et si vous voulez la faire avec une intention antisémite, ce n’est pas de ma faute ». Dieudonné pourra toujours se retrancher derrière la carte « humour ». Ceci étant, avec ou sans Dieudonné, cette affaire expose un vrai malaise autour des notions identitaires, et du chaos ambiant de paranoïas, et de syndrome des agendas cachés. Il suffit, dès lors, que quelques voix prennent avec talent les oripeaux du contestataire pour se voir suivies par une multitude qui voit dans son sort le fruit d’un complot ourdi par les puissants – le système, la juiverie internationale et la finance, comme d’habitude. Je comprends qu’une large partie des fans de Dieudonné ne soit pas antisémite et viennent rire avec ce trublion qui teste les limites du politiquement correct. Mais lorsque, goguenard, Dieudonné regrette pour Patrick Cohen que les chambres à gaz n’existent plus ou fait chanter « Shoah-ananas », il sait qu’il répond à une demande d’une partie de ses spectateurs, qui rient alors aux éclats. C’est cet échange avec le public qui est glaçant : ni Dieudonné, ni son public « soft » ne peut faire comme si ces rires n’enrobaient pas, aussi, du premier degré.

        Entretien : Thierry Boutte

        Sur le même sujet:

        celui-ci ne « casse » pas du Dieudonné par reductio ad hitlerum comme le fait 99% de la presse.

        jolie la formule et bien tournée quand à rituelle critique de la presse ou des média, je répondrai queLa presse, Les médias …connais pas ! Je ne connais que tel ou tel titre de journal (où Frncçois est publié) ou telle ou telle radio- tv (où il s’exprime)…

        François De Smet | 8 janvier 2014 à 11 h 47 min | Catégories: Interventions & presse | URL: http://wp.me/pZLpw-wf

  4. Cher François, je partage évidemment ton avis en ce qui concerne le principe, fondamental, de la liberté d’expression. Par contre, tu mets en exergue deux dérapages regrettables (« shoananas » et COHEN), même pas drôles, estimant que DIEUDONNE serait tombé dans l’incitation à la haine. Je ne partage pas ton avis : Il ne faut pas que l’arbre cache la forêt : le bonhomme est et reste un incomparable humoriste. Même si, en butte à d’innombrables attaques, il focalise et en remet une couche…C’est le côté « taquin ». 🙂

    • On ne cesse de marteler que Dieudonné est coupable d' » l’incitation à la haine ».

      « Incitation à la haine » est une notion juridique, il serait temps que les journaleux et autres commères éprises de calomnie abjecte cessent de l’invoquer à tort et à travers.

      La rtbf organise un chat à ce sujet avec un non-juriste, pourquoi ? pour induire le public en erreur ? pour flatter l’ego du non-juriste ? pour alimenter la vendetta anti-ananas, pardon, anti-Dieudonné ? belle déontologie. Du journalisme amuse-gueule, genre quenelle à neuneus hilares ?

      Libé appelle une juriste à l’aide pour confirmer ce que nous devrions TOUS savoir : on n’accuse pas sans preuve ! c’est une règle morale élémentaire enseignée dès l’école primaire dans tout bon cours de morale ou religion catholique. J’en déduis que Valls et consorts n’ont fréquenté ni l’un ni l’autre…

      D’où sortent tous ces anti-Dieudonné ? Cette hystérie collective au sujet d’une quenelle idiote, hystérie orchestrée par le gouvernement français avec l’aide de journaleux, est tout simplement RI-Di-CU-LE dans le contexte actuel. Nous sommes 2013, pas en 1933. Cette victimologie juive permanente au nom de l’antisémitisme est devenue indécente dans le contexte actuel. Ce n’est pas la quenelle de Dieudonné qui a tué les enfants juifs à Toulouse, on se trompe de cible.

      Les pseudos antisémites ayant sombré dans le pathos ridicule et malhonnête, la conséquence est évidente : il sera de plus en plus difficile de reléguer le chantage à l’antisémitisme dénoncé par Dieudonné au rang de « mythe » .

      Etait-ce le réel objectif ?

      Conclusion : Il y a réel danger pour les juifs en Europe, mais ce n’est pas la quenelle ni Dieudonné. Qui a donné l’ordre de tuer les enfants juifs à Toulouse ? au nom de quelle idéologie des enfants juifs ont été assassinés à Toulouse ? il est là le véritable antisémitisme, celui qui se cache pour tuer lâchement des innocents juifs sans défense en France en 2012. (chut !)

  5. Vœux du plaisir d’encore lire, cette année tes si stimulantes interventions…

    Je réagis ce jour à ta pertinente intervention car j’ai négligé de le faire lors de ton billet sur le même thème. J’y avais apprécié que tu ne contentais pas de te ranger dans la catégorie binaire des pour ou contre mais , en une démarche plus rare, tu t’interrogeais sur qu’est-ce que ce Dieudonné. Bref, penser « l’événement » comme tout homme et a fortiori un philosophe se doivent….

    vœux pour toi aussi de joie et sérénité
    Christian

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