Billet radio pour la Première (RTBF), 11 septembre 2012
« Dieu a créé les Etats-Unis pour dominer le monde ». Ce n’est pas de moi – sinon ce ne serait pas drôle – mais de Mitt Romney, le milliardaire mormon qui a une chance sur deux de devenir président. Il en a rajouté une couche il y a quelques jours en rappelant aux distraits que « nous, le peuple américain, avons reçu nos droits non pas du gouvernement mais de Dieu lui-même » et que les Etats-Unis étaient une nation « anoblie par Dieu ».
Cette vision des choses impensable en Europe – remplacez « Etats-Unis » par « Belgique » dans la citation ci-dessus, juste pour rire – n’a rien pourtant d’extraordinaire aux USA. Les Démocrates aussi font référence à Dieu, dans des proportions simplement moins obsessionnelles que les Républicains ; la culture mormone de Romney offre juste à la chose un lyrisme inhabituel. Les églises ont beau être séparées de l’Etat, la religion garde toujours une importance énorme en politique américaine, où personne ne peut être élu sans être croyant – que vous soyez protestant, catholique ou mormon est moins important, mais il faut croire. Car si vous êtes agnostique ou athée, vous êtes suspect de nihilisme, cette idée horrible d’une vie et d’une histoire vides de sens. Hors de question : il faut indiquer une direction.
Une élection américaine se déroule toujours, finalement, sur le mode du storytelling, technique bien connue en communication consistant à installer le spectateur dans un récit qui mobilise ses émotions. L’homme est ainsi: friand de mythes et de récits, comme l’histoire de toutes les civilisations le prouve ; chacune construit sa conscience collective sur des mythes fondateurs. Pour gagner une élection dans un pays qui n’a que 230 ans, il faut raconter une histoire solide. Cela peut être le mythe du pays lui-même comme le fait Romney ; en ce cas, il faut indiquer le sens dans lequel elle se déploie et promettre, comme Moïse, la terre promise. Cela peut aussi être raconter son histoire à soi et l’inscrire dans la ligne de la nation, comme l’a fait Obama en 2008 au point d’en faire sa marque de fabrique. Car au-delà de ses qualités, le président a d’abord été élu sur sa biographie. Quel meilleur moyen de tourner la page des années Bush que d’élire un métis intelligent, charismatique, et ayant voyagé une bonne partie de sa vie, c’est-à-dire l’exact opposé de son prédécesseur ? Nous, sur le vieux continent, aimons Barack Obama parce que nous détestions George W. Bush, parce qu’il nous paraissait être le candidat du reste du monde, et parce qu’il incarne ce que nous aimons en l’Amérique : la foi en l’avenir, là où en Europe nous avons appris à déconstruire une à une chacune de nos croyances, jusqu’à ne plus avoir foi en rien, pas même en nous-mêmes.
Et pourtant les plus belles histoires ont leurs limites. L’intenable promesse de storytelling biographique d’Obama s’est heurtée à la dure réalité : le déficit et la dette ont explosé sous son administration, Guantanamo n’a pas été fermé, et même ses succès ne sont pas immaculés – la mort du terroriste Ben Laden garde tous les aspects d’une exécution sommaire couverte par le président, ce qui fait un peu tache sur un cv de prix Nobel de la paix.
Obama, Romney ; nous savons déjà lequel des deux chante le mieux. Mais le titre de meilleur conteur d’histoires, lui, se jouera peut-être dans un mouchoir.
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Et, si tout, la politique, l’économie, le monde vous et moi, n’étions que le résultat de « storytelling » ?…Eh oui, il faut se/nous raconter des histoires…Cela aide à vivre…Le sceptisisme est une posture…elle aide à vivre, comme pas mal d’autres concepts ou « falbala »…et après : il faut choisir…
Raconter des histoires, voilà une bonne idée !!!