Les bien-nommés accords dits de la Sainte-Emilie, qui traduisent les fruits de la sixième réforme de l’Etat dans ses aspects intra-francophones, réalisent l’accomplissement de plusieurs miracles.
Le premier et non le moindre : la résurrection de la Commission communautaire commune (Cocom). Derrière cette appellation barbare, essentiellement présente dans quelques souvenirs de blocus d’étudiants en sciences politiques ou en droit, se cache l’organe institutionnel bruxellois s’occupant des matières bipersonnalisables. Cet appendice, qui n’exerçait que quelques compétences résiduelles en matière de santé et d’aide aux personnes (politique de dispensation des soins, éducation sanitaire, médecine préventive, politique familiale, politique sociale, personnes handicapées, troisième âge, jeunesse, immigrés, aide sociale aux détenus) et dont certains prônaient encore la suppression dans leurs programmes de 2010, va voir ses moyens démultipliés puisque c’est à lui que sera transférée la gestion des allocations familiales et des nouvelles compétences en matière de santé pour les Bruxellois (alors qu’en Wallonie ce sera évidemment la Région wallonne, ce qui consacre la victoire du fait régional, même si à Bruxelles il ne faut visiblement pas le dire). Pourquoi la Cocom ? Ce n’est pas le fruit d’un mouvement politique fort, enthousiaste et volontaire, mais la conséquence d’une cascade d’impossibilités : impossible de faire porter cela à la Région (trop simple, vous pensez bien), parce que les mécanismes de gestion de la Région bruxelloise ne permettent pas d’offrir une représentation équilibrée des néerlandophones de Bruxelles ; et impossible de le faire porter aux Communautés ou aux commissions communautaires française ou flamande, sous peine de créer des sous-nationalités à Bruxelles en matière d’allocations familiales – distorsions qui donc, si on comprend bien, semblent en revanche moins problématiques à assumer entre Régions flamande, Région bruxelloise et Région wallonne. Ah oui, on oubliait : pour la Cocom, il faudra encore que les partis flamands soient d’accord.
Le deuxième miracle relève davantage de la transsubstantiation, dont l’intérêt est à peine moindre que l’exploit christique de transformation de l’eau en vin : faire passer une réforme dont aucun parti francophone ne voulait en occasion de se réjouir et de se rassurer. En voyant les sourires épanouis des quatre présidents de partis francophones ayant négocié la sixième réforme de l’Etat, on aurait presque du mal à se rappeler que, bien entendu, aucun parti francophone ne souhaitait ce transfert des allocations familiales, de l’aide aux personnes ou de la santé. C’était l’une des contreparties nécessaires à offrir pour déscotcher les autres partis flamands de la N-VA afin de les convaincre après la plus longue crise de mémoire belge, d’entrer dans les négociation de formation d’un gouvernement. Il faut surmonter le trauma pour faire oublier que ce transfert a été accepté pour des raisons psychologiques et symboliques, et non pour des motifs politiques au sens premier de bonne gestion et de rationalité ; comment faire croire sérieusement en effet qu’un système bigarré où les compétences sont transférées à des organismes différents supposés se concerter par la mise en place de coupoles de concertation permettant d’éviter les distorsions, sera plus efficace que le système fédéral précédent dans lequel la gestion , par définition globale, évitait par principe ces mêmes distorsions ?
Ce que les partis francophones ont fêté à la Sainte-Emilie, c’est la défaite de la logique face à la passion ; l’une des nombreuses stations du chemin de croix qu’est devenu pour eux, depuis tant d’années, le fédéralisme de résignation qu’ils tentent comme ils le peuvent de présenter en fédéralisme de coopération. En 2011, ce fut le prix à payer pour obtenir un gouvernement ; dès lors, agiter en même temps la praline de la circonscription fédérale, idée magnifique mais que l’on n’est pas parvenu à obtenir alors même que les partis flamands étaient demandeurs d’une réforme, ne peut passer que pour une naïve tentative de diversion.
Plus d’infos: écoutez l’émission #CQFD consacrée à ce sujet
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Voilà bien un des résultats de politiques différentes voulu sans le vouloir par le communautarisme qui pollue la Belgique …
Si demain, elle devait être scindée, ce transfert là serait déjà abouti !
Il vaut mieux un bon mauvais accord qu’un bon procès, dit la sagesse populaire…
Il me revient, en cherchant dans les expériences récentes de séparatisme, le cas de la Tchécoslovaquie : ce n’est pas le plus fort,ex-ante, qui en a profité …selon les statistiques communautaires