Dis-moi ce que tu manges…

Billet radio pour la Première (RTBF), 5 octobre 2010 – Ecoutez le podcast

… je te dirai qui tu es. Vous connaissez l’adage. Nous sommes en pleine semaine du commerce équitable, et parmi les produits connus sous ce label, l’alimentaire – issu de l’agriculture – figure en première ligne. La nourriture, la diététique sont devenues un enjeu majeur de société. C’est l’un des principaux sujets de conversation, parce que la nourriture n’est plus aujourd’hui un simple moyen de subsistance, c’est ce qui montre, trahit notre manière d’être : que mange-t-on, et donc qui est-on, en quoi croit-on, quelles sont nos convictions : végétarien, label bio, commerce équitable, sans oublier le hallal et autres casher… on ne compte plus les étiquettes sur nos aliments, qui nous convainquent d’appartenir à un mode de vie responsable, sain, ou à une communauté. C’est ainsi : depuis que, pour la plupart d’entre nous, manger n’est plus un enjeu de survie, cela devient un moyen de se marquer. Nous sommes investis dans ce que nous mangeons comme dans ce que nous sommes.

Et cela aboutit à des paradoxes : les étiquettes nous déculpabilisent, elles nous rassurent, elles nous donnent l’impression que nous contrôlons une part de notre vie, voire que nous partageons une responsabilité dans l’ordre du monde. La nourriture est aussi l’occasion de calibrer notre comportement et d’adopter une identité. Non seulement nous sommes soucieux de notre santé, mais nous le sommes aussi de celle du monde. Et nous nous laissons bercer par le sentiment confortable que tous ces labels participent de l’intérêt général, alors qu’en fait ils sont parfois contradictoires et  ne font que renvoyer à quelque chose d’abominablement individuel : notre liberté de choix. Par exemple, le label « bio » est-il toujours compatible avec le label « commerce équitable » ? Cela n’a rien d’évident. Peut-être qu’en choisissant le label bio je participe à une agriculture de qualité, par exemple avec des poules élevées en plein air et des céréales sans aucun OGM, mais que cela mobilise peut-être en revanche des matières premières achetées aux pays en développement à un prix qui n’a rien d’équitable… Et, de la même manière, peut-être qu’acheter mes produits estampillés « commerce équitable » fabriqués à juste prix à l’autre bout de la planète, cela laisse une empreinte écologique monstrueuse pour les faire venir jusqu’ici. Je pourrais encore vous parler de la compatibilité entre les labels religieux et le bien-être animal mais cela nous mènerait trop loin. Bref, nous nous trouvons face à des conflits de priorités donc de valeurs. Et, il faut bien le dire, nous sommes parfois un peu perdus lorsque ces labels se contredisent. Que choisir ? Le petit fermier bio européen ? Le paysan « fair trade » du Mali ? Mon cholestérol ?

La clef, voyez-vous, c’est qu’il y a aussi une mondialisation des enjeux. Ainsi, il n’y a pas UN intérêt général, il n’y a que l’image que l’on se donne de celui-ci selon les priorités que l’on se donne. Si quelqu’un prétend vous expliquer qu’il existe une et une seule vision de l’intérêt général, vous serez en présence d’une idéologie. Nous sommes donc contraints de choisir. Mais l’éventail des choix collectifs disponibles ne doit pas masquer qu’au bout du compte, tout choix reste individuel. Et, entre le développement durable, le pollueur-payeur, le principe de précaution et la solidarité, ce n’est pas simplement notre cœur ou notre portefeuille qui balance, c’est  aussi notre estomac, qui nous rappelle cette douloureuse réalité: non, tu ne peux pas te goinfrer de tous les beaux principes à la fois… Il en est des labels alimentaires comme de n’importe quoi, au fond: il vaut mieux les mettre en relief les uns les autres et en tirer alors ses conclusions en âme et conscience. Ou, pour le dire autrement, bien mâcher avant d’avaler. L’indigestion, dans le cas contraire, sera inévitable.



Catégories :Chroniques Radio

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