Justine ou les malheurs de la vertu

Billet radio pour la RTBF radio (la Première), 22 février 2011 – Ecoutez le podcast

Justine Henin prend sa deuxième retraite. Vous aurez remarqué que cela se fait sans beaucoup de bruit, sauf quelques interviews vérités données ça et là.

Ce départ permet de revenir sur la relation que cette championne entretient avec son public. Oh, il y a les fans, bien sûr. Il y a la reconnaissance unanime d’un talent d’exception, évidemment. Mais si vous discutez autour de vous, si vous vous promenez sur les forums, vous tombez tout de même très vite sur des réflexions du style « Oui, mais bon Justine, elle est quand même moins sympa, moins simple, moins naturelle, moins chouette que Kim », et je vous passe les commentaires élégants sur son physique jugé plus sec ou moins plantureux que sa meilleure « sparring partner ». Justine, à cause de son histoire familiale, d’une apparente froideur, de ses réponses exactes, tranchées, sans langue de bois aux interviews, énerve autant qu’elle fascine. Mais ce qui m’a toujours frappé, surtout, c’est de voir combien, de sa personne, émane d’abord une impression de profonde solitude.

Et cette solitude, moi elle me touche et me retourne. D’abord parce que Justine en a pleinement conscience et qu’elle se donne un mal de chien pour corriger le tir, se livrer, montrer ses qualités de cœur – et sans la connaître, je veux bien parier que c’est un calvaire pour elle, et qu’elle est d’une nature timide et réservée. Ensuite, cette solitude me touche parce que ce qu’on reproche à cette femme, dans un petit esprit hélas bien de chez nous, c’est d’avoir le culot d’être à la fois une championne exceptionnelle et d’avoir de l’esprit, d’essayer de faire au mieux ce qu’on lui demande, de communiquer de manière directe, précise et transparente, c’est-à-dire d’avoir l’outrecuidance de montrer qu’elle est intelligente. Or, dans la mentalité si singulière et riche de notre pays, qui a ses qualités par ailleurs, nous n’aimons pas ce qui dépasse les lignes.

Déjà, nous n’aimons pas l’intelligence en général, que nous faisons rimer très vite avec arrogance. Nous n’aimons pas les gens qui sortent de la simplicité et du plaisir de vivre bien de chez nous. Nos hommes politiques, on les préfère buveurs de bière ou mangeurs de gaufres plutôt qu’hommes d’État, fréquentant les bistrots davantage que les auditoires. Et nos sportifs, on aime pouvoir se moquer gentiment d’eux à cause de leurs réponses stéréotypées et maculées de fautes et d’accent, parce qu’on ne leur demande pas d’être doué pour plus d’une chose à la fois. Et donc quand Justine nous parle en répondant dans son français parfait, avec nuances, analyse, en anticipant les questions, victime du syndrome de la bonne élève qui veut cartonner à tout prix, nous avons pour premier réflexe de la trouver arrogante au lieu de nous mettre deux minutes dans sa peau.

Parce que Justine, du fond de sa maison à Uccle, avec ses 43 trophées et la vie devant elle, elle veut ce que tout le monde veut, à part peut-être Philippe Moureaux : elle veut qu’on l’aime. Et comme la plupart d’entre nous, pour nous faire aimer, on cède parfois à la tentation de se conformer à ce qu’on attend de nous.

Alors Justine, si tu m’entends, si ta retraite te donne enfin l’occasion de découvrir le 13h de la Première présenté par le truculent Arnaud Ruyssen, appelle-moi, viens : on partira, on refera le monde, on ira manger des moules et puis des frites et puis du vin de Moselle, on dira des gros mots… Et puis on fera comme Boris Vian : on ira tuer tous les affreux.

 

 



Catégories :Chroniques Radio

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1 réponse

  1. Je partage entièrement cette réflexion et ce coup de coeur

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