Billet radio pour la Première (RTBF), 9 novembre 2010 – Ecoutez le podcast
Les assises de l’interculturalité ont donc remis leur rapport hier. Comme d’habitude – c’est au moins le 3ème exercice du genre -, il y a du travail de qualité. Mais sa philosophie grève une grande partie des acquis : se baser sur la gestion d’un pluriel résigné, et non sur la confection de valeurs communes.
Il est difficile de réduire ce débat, complexe, mêlant aspects sociaux, culturels, économiques, symboliques. Une constante est toutefois à relever : la peur. La peur des uns de voir leur modèle, leurs valeurs remises en cause par des minorités culturelles revendiquant des spécificités ; la peur des autres, craignant de disparaître par assimilation. Et au total un jeu de cercle vicieux, les craintes d’agenda cachés de part et d’autre justifiant et légitimant les replis identitaires communautaristes, ou conservateurs. Et tel est bien le reproche que l’on pourrait faire : les recommandations du rapport visent davantage à en assumer les conséquences de ces peurs, au lieu d’en attaquer les causes.
En effet, s’il est probable qu’il faille régler les situations existantes mettant en jeu les limites des comportements, on se trouvera à écoper une barque sans fond si on se contente de cela. Car, au fond, le problème est : comment se fait-il qu’on puisse accorder tant d’importance à une religion que l’on préfère quitter une école plutôt que de se priver d’un signe de représentation ? Ou, dans l’autre sens, comment se fait-il qu’on semble si peu sûr de ses propres valeurs qu’on veuille limiter l’expression des autres ? Si nous voulons faire dissiper la crainte d’agenda caché, il faudra davantage se pencher sur des mesures qui construisent du commun, alors que le débat se focalise plutôt sur les mesures d’aménagement prenant acte de situation de replis comme autant d’irréductibles différences. Je prendrai un seul exemple : les cours de morale et de religion actuels, qui séparent les élèves selon leurs convictions personnelles ou celle de leurs parents, ne devraient-ils pas céder enfin leur place à un cours commun de philosophie et d’histoire des religions ? Au lieu d’éduquer gentiment chacun dans sa religion ou sa conviction, ce qui devrait être fait par les parents dans un cadre privé, ne serait-il pas plus utile, durant l’une des seules périodes de vie de mixité culturelle forcée, de forcer les jeunes à voir ce qui se passe dans les autres religions et cultures, comprendre le pourquoi des rituels, des traditions, ou de l’émergence historique de la laïcité ? Imaginez qu’à 18 ans, chaque élève en Communauté française sache ce que c’est que l’Évangile, le Yom Kippour, les cinq piliers de l’islam et les principaux courants philosophiques ; demandez-vous sincèrement si, dans ce cadre, le port de signes religieux serait vécu comme si essentiel pour ceux qui les portent, ou comme si dramatique pour ceux qui ne les portent pas.
Vous voulez faire baisser la peur d’autrui ? Détruisez son ignorance, la moitié du chemin sera faite. Si nous restons sur ce combat de symboles sans investir sur des espaces communs permettant aux uns de s’ouvrir au point de vue des autres – remettre en cause par soi-même son dogme religieux par exemple – nous œuvrerons, dans les faits, à une société de plus en plus sclérosée, car chaque « camp » verra dans toute revendication de l’autre une dérive assimilatrice ou communautariste, chacun considérant son point de vue comme une défense vis-à-vis de l’autre.
Pourquoi je vous prends cet exemple ? Parce que le rapport du comité de pilotage des assises se contente, sur ce point crucial, de ne rien changer au système actuel des cours de religion séparés, concédant à la rigueur l’organisation d’un cours supplémentaire – qui ne pourra budgétairement jamais voir le jour -, histoire de ne vexer ni cultes reconnus, ni laïcité subsidiée. C’est révélateur d’un état d’esprit axé sur la gestion a posteriori des différences plus que sur la construction de l’espace commun, qui jalonne tout le long un rapport pourtant de belle facture. « La société est multiculturelle, il faut s’y faire, que ça nous plaise ou non », déclarait la ministre de l’égalité des chances. C’est vrai, bien sûr ; mais à bien y réfléchir, en même temps, quelle inquiétante résignation contenue dans cette déclaration inoffensive… Eh bien non, a-t-on envie de répondre : la diversité culturelle est une chose, la résignation à la segmentation de l’espace public en est une autre. Au lieu de constater les différences, de s’y résoudre et de s’en « accommoder raisonnablement », peut-être faut-il avoir le courage de créer des espaces communs forçant les gens à mettre en danger leurs convictions en échangeant avec autrui, et non pas des accommodements de pure forme, délimitant simplement les limites des espaces où chacun est chez soi, gentiment enfermé dans sa différence. Electoralement moins porteur aujourd’hui. Mais tellement plus responsable pour demain.
Liens :
Rapport des Assises de l’interculturalité (PDF)
Assises de l’interculturalité et « commissionnite » aiguë (ancien billet)
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C’est l’occasion pour moi de rappeler que depuis des années je suis l’auteur de la seule proposition de décret déposée à la communauté française visant la création d’un cours de philosophie obligatoire et commun à tous les élèves. Jamais les partis de l’Olivier n’ont voulu en débattre !!!