Paru dans Migrations Magazine (numéro 7 – été 2012)
En caricaturant – à la pelle à tarte, certes – le débat sur l’intégration, on pourrait dire qu’il oppose de manière traditionnelle les assimilationnistes et les intégrationnistes.
Ceux qui pensent que les nouveaux arrivants doivent accepter les normes, valeurs et mœurs de la société dite dominante, et ceux qui pensent que les nouveaux arrivés forment avec les anciens un nouvel ensemble, qui ne ressemble pas au premier et en diffère.
Au fond, quel est l’enjeu dans les questions d’intégration ? La peur. La peur sourde, non de l’invasion, mais de l’altération de nos sociétés et de nos vies. C’est ainsi : nous, humains trop humains, nous nous attachons à une idée d’homogénéité et de permanence qui compense note mortalité et notre finitude. Car en vérité, tout change autour de nous, en permanence : la vie est mouvement, action, dynamisme. Rien, pas même les étoiles, n’échappe au temps et à l’altération. Nous avons inversé notre rapport à la nature et aux choses au point de nourrir un sentiment de contrôle quelque peu illusoire. Transposé à l’intégration, le schéma de l’altération fonctionne aussi : les étrangers font peur parce que, par leur nombre, ils pourraient perpétuer une langue, des mœurs, des traditions qui pourraient menacer les nôtres.
En apparence, l’intégration se révèle donc être une simple question de rapport de forces. Certains, à gauche comme à droite, ont si bien intégré ce tropisme qu’ils le placent au cœur de leur rhétorique. Ce qui est amusant, c’est que le rapport de force comme schéma peut servir à chacun, et fonctionne en amont comme en aval. Cela finit par créer une grille de lecture presque plausible :
En aval : les « étrangers » dans le sens usuel, issus de la migration économique organisée de l’après-guerre, essentiellement italienne, marocaine ou turque, et dont les enfants ou petits-enfants, souvent, cherchent encore leur place dans une société qui n’est pas toujours prête à la leur donner, même à nationalité ou diplômes égaux, et qui se protègent parfois de l’assimilation par la majorité par le développements de replis identitaires que même leurs parents ne portaient pas. Vis-à-vis de cette classe, sorte de tiers-état non majoritaire, la société se comporte en bourgeoisie postrévolutionnaire : c’est un prolétariat qu’il convient d’intégrer par le travail, qui paraît en puissance porteur de tentations insurrectionnelles, et dont l’homogénéité est vécue comme une menace devant être surveillée.
En amont : les eurocrates. Peu nombreux, ils campent une classe économique supérieure, disposant de larges moyens, planant au-dessus du reste des mortels auxquels ils ne se mêlent pas. Elite itinérante des temps modernes, ils ne sont pas là pour rester et ne développent du coup aucune velléité d’intégration. Une sorte de noblesse et de clergé des temps modernes, désincarnés de la ville où ils évoluent, dont ils perçoivent la masse obscure comme quantité négligeable.
Au milieu : les bourgeois. C’est-à-dire, grosso modo, « nous » la plupart des autochtones, qui continuons à former la masse référentielle et la pensée dite dominante, hésitant perpétuellement entre la méfiance pouvant confiner à voir en tout étranger l’ombre d’une menace, et le désir consensualiste universaliste pouvant mener à trouver tout particularisme, même le plus effrayant, très tolérable voire même formidable.
L’analyse en termes de rapports de forces est confortable : elle offre un rôle et donc un horizon. Ce n’est pourtant qu’une chimère. C’est peut-être au départ de ce « nous », qui existe comme ces autres « classes » surtout dans nos petits complexes et nos grandes représentations, que peut partir une décision radicale : refuser le rapport de force et remettre un peu d’universel dans nos rapports humains et nos conceptions du monde. Voir ce que ça donne si on renverse la table et si on refuse d’identifier des groupes devant s’opposer à d’autres groupes, pour partir des individus et de leurs droits et devoirs universels. N’être intransigeant que sur une seule chose : garantir les possibilités que le mélange se produise. Valoriser le métissage, le souci de l’autre, l’empathie. Combattre les replis identitaires excluant autrui au même titre que le racisme dont il est l’équivalent. C’est, en matière d’intégration, la seule révolution possible. « C’est notre regard qui enferme les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est aussi notre regard qui peut les libérer » (Amin Maalouf).
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François,
Disons-le tout de go : je partage votre conclusion quand vous écrivez : « Favoriser le souci de l’autre. Combattre les replis identitaires… ».
Quel « honnête homme », quel « homme de bien » ne partagerait pas cette posture ?
Par contre, je suis assez fatigué des « aveux » de culpabilité tels que « C’est notre regard qui enferme… (cit. A. MAALOUF) »…
Entre c’est la faute aux autres ou à moi, il y marge à nuances !
Si sur le plan intellectuel, personnel et, dans notre vie de tous les jours, ces nuances, ces différences peuvent être débattues, et vécues réellement La politique (= l’organisation démocratique de la vie en commun, sur un espace donné, à un moment donné) nous oblige à des choix plus « simples » ou simplificateurs, à notre « esprit » défendant.
Votre typologie « eurocrate », « bourgeois », ignore fondamentalement, une troisième catégorie :l les « petits » : petits pensionnés, petits indépendants, chômeurs, minimexés, ( nota : il serait intéressant de faire une analyse des moyens et des structures d’intégration des étrangers et des natifs : ils ont les mêmes droits mais pas les mêmes structures : il est plus « politiquement correct » de s’occuper de l’immigré que de nos « pauvres belges» » !…).
Il manque un cadastre de l’aide sociale ! (Combien d’Asbl, subventionnées, couvrent cette « aide sociale » où les doublons sont la règle!…Cela vaut aussi pour l’Amo »)
Cette (courte) analyse explique la poussée du FN en France… (NB : en Belgique : nous avons la chance d’être un pays (sur)réaliste et que l’extrême Droite n’a pas de leader valable)
A titre personnel, je ne connais que deux « racistes » : ma fille, institutrice maternelle, dans une école communale, dans un quartier « défavorisé » : elle est confrontée chaque jour, à ce choc des cultures et des comportements…
Imaginez qu’une personne, masquée par la Burqua ou le Nikab, vienne chercher un enfant, dont elle est responsable : et l’enfant disparaît…C’est concret.
La deuxième est un ouvrier, qui, suite à la fermeture de son entreprise, est chômeur indemnisé.
Il avait acheté, une petite maison, dans un quartier populaire….il vit au quotidien la différence, et il ne comprend pas ! En quelques ans, son quartier a changé :des marchands de sommeil ont occupé les maisons voisines, il est devenu « étranger » : lui a travaillé pendant 30 ans et ses voisins ont les mêmes droits, alors qu’ils sont arrivés depuis peu…Expliquez-lui
Ne négligeons pas ces expériences, et ne les réduisons pas du point de vue de l’intellectuel…
Existentiellement, nous n’en avons « rien à foutre »….bien sûr, mais eux, les vivent existentiellement
A vous lire,
Bernard HALLEUX
Bonjour et bravo pour votre présentation analytique, mais un petit détail m’interpelle vous semblez amalgamer les italiens les turcs et les marocains, culturellement et chronologiquement ces « vagues » ne me paraissent pas similaires ni comparables
Les Européens n’ont aucune peine à intégrer l’étranger qui lui est sympathique. L’américanisation de notre société le prouve : nous avons intégré des coutumes et attitudes venues d’outre-atlantique sans la moindre réticence culturelle.
Pourquoi ce discours hypocrite consistant à parler de peur de l’autre lorsqu’il s’agit d’un refus, non hystérique ni raciste, mais fondé sur une « cohabitation » vieille de 30 ans ? Le refus de l’étranger musulman n’est pas une phobie, c’est la réaction logique face aux incivilités insupportables et récurrentes.
Quel intérêt de ressasser les mêmes mensonges depuis 3 décennies ? Cela frise l’endoctrinement fasciste : pourquoi imposer l’islam et leurs adeptes ( pour la plupart, ignorants de leur religion) aux européens qui n’en veulent manifestement pas ?
Repli identitaire des Européens ou simple refus de la médiocrité ?
A-t-on encore le droit de refuser la médiocrité ? Comme Merkel, je commence à m’inquiéter de l’état intellectuel de notre vieille Europe, drapée de vertus…