Malades sans frontières

Paru dans Migrations Magazine (numéro 8 – automne 2012)

migmagLes Belges adorent les étrangers malades.

Bon, à dire vrai, on les aime surtout quand ils restent à l’autre bout du monde et que c’est la Croix Rouge, MSF ou Médecins du Monde qui s’en charge. Si les autochtones sont souvent partisans de la coopération au développement, souvent très généreusement d’ailleurs, ils se montrent en revanche frileux sur le bénéfice de l’aide médicale aux étrangers résidant déjà ici, surtout s’ils en tirent un droit au séjour.

A vrai dire, ce qui gêne est le sentiment d’opacité et de non-transparence. Nous aimons donner en ayant conscience que nous rendons service ; nous sommes réticents à l’idée de laisser des personnes profiter d’un système et les transformer en droits acquis. Syndrome du nouveau riche qui aime qu’on mérite ce qu’on gagne, un peu comme la NV-A qui n’est pas contre les mécanismes de redistribution envers les Wallons, mais bien contre le fait que ceux-ci soient noyés dans la solidarité sociale fédérale au lieu de prendre la forme d’un don, d’un investissement qui honorerait celui donne et qui responsabilise celui qui reçoit.

Pourtant, si nous étions ressortissants d’un pays du Sud, parent ou enfant d’une personne malade ou malade nous-même, si notre survie dépendait d’aller ou non se faire soigner dans un pays du Nord, qui parmi nous se laisserait sagement mourir pour l’honneur d’avoir sauvé l’équilibre de la sécurité sociale ? Qui parmi nous ne considérerait pas là qu’il s’agit de la compensation du contribuable occidental pour être né directement et sans efforts dans un pays où les soins lui seront disponibles facilement ? Car quoi de plus injuste que la maladie ? Quoi de plus clivant que le sort qui s’acharne plus durement, par le biais de la maladie, sur ceux qui n’ont pas les moyens de se soigner ?

Parmi tous les thèmes liés au séjour, la question médicale paraît la plus sensible humainement, la plus directement tragique, parce qu’elle annule la médiation du temps et des possibilités qui constitue l’airbag habituel de notre bonne conscience. Dans le reste des dossiers migratoires, les mesures restrictives sont légitimées par l’appréciation que la vie de l’intéressé n’est pas en danger. Il n’est pas trop grave de refuser telle demande d’asile puisque le pays d’origine n’est pas à risque ; il n’est pas top grave de renvoyer telle personne chez elle puisque son pays n’est pas en guerre mais « juste » pauvre. La plupart du temps, on peut se réfugier derrière la nuance : la vie n’est pas directement menacée ? Très bien, on peut fermer les portes. Tant pis si les conditions de vie sont exécrables, tant pis si la misère est omniprésente, tant pis si on meurt bel et bien, mais à petit feu de désespoir. Question de timing. On ne meurt pas tout de suite si on est expulsé, ce n’est donc pas la conséquence directe de l’expulsion et c’est tout ce qui compte.

Si le séjour pour raisons médicales gène, c’est parce qu’il représente, protection internationale mise à part, la seule situation qui met radicalement et ostensiblement ce postulat en échec : la vie elle-même est en jeu, directement, sans étapes et considérations d’appréciation. On ne rigole plus. Le malade, ce n’est pas sa qualité de vie qu’il joue, c’est sa vie tout court.

Mais tout est relatif. Les personnes malades ont tendance à mourir un peu plus vite que les autres, c’est tout. Or le motif de leur agonie n’est pas leur maladie comme cause univoque, mais sa combinaison avec cette curieuse idée de l’avoir développée dans un pays mal équipé sanitairement. Non, ce n’est pas juste le sort qui est en jeu, c’est aussi l’iniquité des moyens de développements. Cela ne fait que nous ramener de manière plus brute que d’ordinaire à l’implacable réalité : tant que les gens mourront de misère, de maladie et des deux combinés, nous serons en demeure de nous montrer solidaires et nous enfreindrons leurs droits fondamentaux en leur refusant des soins qui les maintiendraient en vie, un point c’est tout. Que cela prenne la forme d’un chèque à MSF ou d’une ponction fiscale vers la sécu ne devrait pas faire grande différence, sauf dans nos têtes. Pour celui qui est soigné, le choix entre charité et solidarité n’est qu’un luxe sémantique de riches.



Catégories :Articles & humeurs

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3 réponses

  1. voilà un texte que j’aurais aimé avoir écrit tant il correspond à ma pensée …
    être né quelque part donne t-il plus de droits qu’à d’autres ?
    pouvoir gagner sa vie pour la vivre décemment octroie t-il le droit d’oublier la souffrance de ceux dont ce n’est pas le privilège ?
    En tous les cas, merci de soulever la question !

  2. Audacieux, courageux, provocant… mais partiel ?
    de fait « si notre survie dépendait d’aller ou non se faire soigner dans un pays du Nord, qui parmi nous se laisserait mourir pour sauver l’équilibre de la sécurité sociale ? » Implacablement juste: si les biens n’arrivent pas au gens, les gens vont vers les biens dont celui, suprême de la vie? C’est donc toute honte bue que j’ose interroger: l’équilibre si bien moqué de la sécurité sociale n’a-il pas pour enjeu l’acces (d’ailleurs de plus en plus précaire) aux soins pour les citoyens dont sont ou devraient être responsables nos politiques ?
    Et nous voilà à touiller, une fois encore dans le mot-casserole de Rocard : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde… mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. » Qu’il ait ou non prononcé cette seconde partie de phrase (la controverse qui le poursuit à ce sujet n’est pas close qu’importe) la question n’est-elle, pas,en effet, quelle part, un pays peut en assumer? Et là nous ne sommes plus dans l’exhortation de principe si impérieuse et légitime soit-elle mais dans des comptes de boutiquiers bref dans de la politique…qui  » fixera » le montant de cette part? Comment? Par quels moyens l’assumer ?

    Oui, la question est soulevée avec force et coeur comme le souligne Marie-Claude.Mais pour y répondre de manière concrète et crédible, faudra faire preuve aussi d’ intelligence lucide sauf à tout réduire à de « bons sentiments » dont le seul impact est de nous donner- à bon compte-« le sentiment d’être bons « ….

    Je ne prétend pas à LA réponse mais tente de poser la question dans le respect de sa complexité …

    Ps/je transmets ce texte à ma compagne confrontée comme médecin à ces tourments….

    Christian

  3. Comme texte « bien pensant » : c’est pas mal ! Sans doute la proximité de Noel et de la Saint Nicolas : cela dégouline de bonnes intentions…
    Même chez nous, être né ici ou bien ailleurs (chez le voisin, dans un autre quartier), cela peut faire une fameuse différence !
    Bernard Halleux

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