Diaspora : la tentation de l’éternel retour du même

Paru dans Migrations Magazine (numéro 11 – automne 2013)

diasporasLe terme « diaspora » renvoie littéralement à la « dispersion des graines » et désigne la dispersion d’une ethnie ou d’un peuple à travers le monde. A bien y regarder, il contient quelque chose de plus : l’intention des membres desdits groupes de rester ensemble. Sans cet élément intellectuel et volontaire, en effet, la dispersion se fondrait rapidement dans la population de souche des pays d’arrivée. La simple existence du mot renvoie donc à un élément de volonté et d’organisation : celui d’hommes et de femmes qui souhaitent conserver une part importante de leur culture ou de leur identité, et établir un mur partiellement ou totalement étanche avec le pays de destination.

Ce que la diaspora traduit, c’est le fait qu’une culture ou qu’une communauté refuse, en tout ou en partie, l’assimilation avec le milieu d’accueil au nom de sa surie comme groupe disposant de caractéristiques identitaires à protéger ; elle est le fruit d’une migration qui entend conserver une série de traits principaux pour résister à l’absorption par le groupe. Dans le réflexe identitaire d’une diaspora réside donc la peur de disparaître, convertie en la transmission de traits culturels, linguistiques, religieux et rituels. L’investissement dans les marques différenciatrices du milieu d’accueil seront d’autant plus fortes et spectaculaires que la crainte de disparition par assimilation sera forte ; dans l’excès, on perçoit aisément comment s’ancre durablement la mécanique inexorable qui alimente en cercles vicieux racisme primaire et repli identitaire.

La diaspora représente dès lors un défi politique considérable pour les autorités publiques. Celles-ci se trouvent en général déchirées par un dilemme opposant d’un part nécessaire reconnaissance et acceptation des différences, idéalisées comme « richesse et diversité » de la société, et d’autre part nécessaire velléité de rassembler les individus en un peuple, idéalisée sous les vocables de « citoyenneté, nation et responsabilisation ». Ces autorités publiques ne savent donc pas quoi faire des diasporas, qui reconstituent des milieux d’origine au sein des milieux d’accueil au prix d’une inévitable – quoique variable – imperméabilité. La massification de l’immigration d’après-guerre et la prolétarisation des populations immigrées a entraîné leur concentration dans certains quartiers, ce qui accentue l’effet de diaspora et le réflexe identitaire qui permet son maintien, parvenant même à faire considérer en leur sein toute intégration comme un renoncement à ses origines assimilable à une trahison par le groupe ; le besoin de reconnaissance du groupe, accentué par l’absence de reconnaissance d’une société de souche qui tarde à offrir aux enfants de la diaspora la place dont il leur faudrait jouir, alimente un cercle vicieux qui convertit le rejet et le racisme par la légitimation d’une identité de groupe la plus homogène possible.

La diaspora cultive enfin le fil narratif sous la forme du mythe d’un parcours migratoire qui tirerait sons sens par ses origines : donner un sens à la migration c’est nourrir une identité elle-même faite de sens et permettre à un individu de se voir reconnu dans la marche du monde. Tel est peut-être là le nœud conceptuel de la diaspora qui fait finalement débat. Il n’est guère malaisé de prouver que la connaissance de ses origines et l’attachement à sa communauté sont des éléments naturels et même souhaitables dans le cadre de tout équilibre identitaire. La diaspora prend tout son sens, chez un individu, comme outil lui permettant de se placer sur la ligne du temps et de l’espace. C’est précieux, et peut même constituer un avantage psychologique important dans un univers désessentialisé, universaliste, chaotique où il devient stabilisateur de venir de quelque part et d’être fier de ses origines. Mais la diaspora pose question dès lors qu’elle devient enfermement et éternel retour du même. On ne peut s’empêcher de songer à ce concept nietzschéen lorsqu’on assiste à ces quartiers qui restent figés comme si le temps s’était arrêté non seulement dans un autre pays, mais dans un autre siècle ; lorsqu’on voit des jeunes gens aller chercher un conjoint dans leur pays d’origine plutôt que de prendre l’abominable pari du métissage et du mélange ; lorsqu’on voit tant d’individus se ressourcer dans le repli grandissant sur une seule culture, quelle qu’elle soit. Lorsque la diaspora devient non un point de départ mais un horizon d’avenir, le risque d’enfermement est réel ; les diasporas deviennent dès lors des communautés hybrides, baignant dans l’illusion de la pureté et de la fixation, joyaux d’immobilisme dans des temps contingents où évoluent, en se protégeant bien moins du flux du monde, non seulement les pays d’accueil mais aussi ceux de départ. Les diasporas courent dès lors le risque de ne plus se rapporter qu’à elles-mêmes, ancrées dans une illusoire origine faisant office de paradis perdu, tel des astres tournant sur leur propre axe de rotation sans autre but que la conservation de l’identique. Une chevauchée libre et fière, solitaire et triste.



Catégories :Articles & humeurs

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