La religion comme jeu sérieux

Chronique pour la Libre Belgique – 7 mai 2016

spaghettiIl y a quelques semaines, le premier mariage « pastafarien » légal a été célébré en Nouvelle-Zélande. Les pastafariens, qui réclament la reconnaissance de culte dans un grand nombre de pays, revendiquent leur foi en l’existence du « Monstre en forme de spaghetti géant et volant » qui aurait engendré l’univers après avoir trop bu de bière, ce qui expliquerait que le monde soit quelque peu bâclé aux entournures. Ses premiers prophètes furent les pirates. Ses adeptes sont invités à se couvrir la tête d’une passoire, comme le fait un habitant de Durbuy qui a tenté, jusqu’ici sans succès, d’obtenir le droit de figurer sur sa carte d’identité muni d’un tel couvre-chef.

Le culte pastafarien a été inventé en 2005 par l’Américain Bobby Henderson. Voulant protester contre une décision d’un tribunal du Kansas acceptant l’enseignement du créationnisme au sein des écoles en même temps que la théorie de l’évolution, il a décidé de créer une croyance farfelue afin de réclamer que l’enseignement en soit également dispensé. L’argument est qu’il est tout aussi fondé scientifiquement de défendre que l’univers a été créé par un Spaghetti géant que par un Dessein Intelligent – c’est-à-dire pas du tout.

Le gag de Henderson est devenu universel et viral pour deux raisons. L’une, technique, est le développement du web, dont il est devenu l’un des phénomènes, permettant à des adeptes du monde entier de se déclarer pastafariens. L’autre, de fond, est de proposer un étendard de rassemblement aux agnostiques et aux athées qui, par définition, ne se rassemblent pas autour d’une idée religieuse ou politique mobilisatrice. Mais ce qui est le plus intéressant dans le pastafarisme, c’est qu’en assimilant la nature de la religion à un jeu auquel on se prend au sérieux, il pourrait bien taper encore plus juste que ce que ses créateurs imaginent.

En soi, et peut-être sans le savoir, Henderson n’a fait qu’actualiser la célèbre expérience de pensée du philosophe anglais Bertrand Russel, connue sous le nom de Théière de Russel, proposée pour démontrer les limites du discours axé sur la foi. Supposons, nous dit Russel, que j’affirme qu’une théière est en orbite quelque part entre les planètes Mars et Jupiter, et que je développe une croyance à partir de cela. Comme il est physiquement impossible de prouver que cet objet ne s’y trouve pas –il est trop petit, insaisissable – je puis sans risque en poser l’existence. De fait, suggère Russel, la religion ne tient que par une chose : l’impossibilité de prouver l’inexistence de quelque chose. Il est donc insensé de fonder une foi sur l’impossibilité de prouver l’inexistence de son objet. Car certes, on ne peut pas prouver l’inexistence de la théière ; mais on peut scientifiquement démontrer que son existence est très, très, très peu probable. Même chose pour les fées, les schtroumpfs, le Monstre en Spaghetti volant – et l’ensemble des religions. Autrement dit, refuser de réfuter l’invraisemblance par fausse humilité épistémologique revient à entretenir l’obscurantisme.

L’argument de la théière, comme celui du Spaghetti, est donc une invitation aimable aux croyants à interroger le réalisme du contenu de leur foi : si on relatait aux informations l’histoire de gens transformés en statues de sel, d’un buisson ardent, d’un homme qui marche sur l’eau ou qui ressuscite, comme si cela était arrivé hier, personne n’y croirait une minute, en ce compris les fidèles actuels des grandes religions monothéistes. Ce qui permet la foi, c’est l’espace-temps : les faits de révélation qui fondent la religion sont si anciens que le temps écoulé dilue le sentiment d’invraisemblance, et offre à l’esprit accoutumé par la culture religieuse et les rites une distance permettant de ne pas remettre en cause des idées et des récits qui, objectivement, s’écrouleraient sous le poids de leur mysticisme dans le monde actuel. Une religion naît donc de mythes auxquels des contemporains décident, consciemment ou non, d’offrir une cristallisation prenant la forme d’une synthèse entre un récit de la création, un héros incarnant la présence de Dieu, et une éthique à laquelle les hommes doivent se conformer – éléments qui, peut-on supposer, se trouvaient en gestation à chaque époque dans chaque lieu où une religion est apparue telle une synthèse des besoins en latence. Le caractère plastique de l’esprit humain, qui est aussi ce qui lui a permis d’évoluer et de s’adapter, permet à presque n’importe quelle foi de survivre grâce à l’impossibilité de prouver l’inexistence de son objet, quel qu’il soit, en permettant au récit religieux de s’adapter en permanence. Exemple : on se rend compte au fil du temps qu’il n’y a pas de paradis dans les nuages des cieux ni d’enfer au centre de la terre ? Pas grave : disons que tout cela se trouve dans une autre dimension à inventer au-delà de l’espace physique connu. Le temps et le marché des convictions feront le reste, transformant en paraboles les récits les plus invraisemblables – aucun miracle qui n’ait de sens ou un message à délivrer, bien entendu.

C’est cela que vient bousculer, par la jubilation de l’absurde, le Monstre en Spaghetti Volant. Mais là où ses promoteurs pourraient avoir davantage raison qu’ils ne le pensent, c’est qu’il n’est pas impossible que toute religion se soit réellement créée d’une manière similaire. C’est-à-dire comme un canular, mais un canular pris au sérieux : en créant une image, un nom, une figure à laquelle accrocher des idées formant la synthèse de leur temps, et puis en s’y mettant à y croire. Ainsi, il n’y a pas de preuves directes de l’existence d’un certain Jésus au premier siècle, à moins de croire sans ciller des évangiles relatant des événements et propos supposés avoir eu lieu des dizaines d’années avant d’être mis par écrit – ce qui en soi remplirait de perplexité tout critique historique. Mais il ne fait nul doute qu’un besoin de culte monothéiste et pacifiste a émergé à cette époque, et a pu se cristalliser sur une figure, dont il faut admettre la possibilité qu’elle a pu exister, mais aussi la possibilité qu’elle fût mythique. On rappellera aussi qu’un canular – authentique et revendiqué cette fois – est à la base de la confrérie des Rose-Croix, au départ d’une blague de théologiens allemands ayant inventé de toutes pièces l’existence d’un certain Christian Rosenkreutz. Cela n’empêche pas les Rose-croix de constituer aujourd’hui un ordre spirituel et hermétiste très sérieux, doté d’une doctrine bien réelle. De quoi méditer sur le besoin de croire des hommes, et leur propension à lui donner corps à toute occasion. Une idéologie, une religion peut donc naître comme un jeu, auquel on se prend et qui devient sérieux au point de faire boule de neige de sa propre consistance.

Ainsi, si les pastafariens existent toujours dans cent ans, il sera permis de se poser la question : et si, au-delà du gag et de la revendication politique, ne s’était pas créé là réellement la religion de notre époque, reflétant les idées les plus communément admises relatives à la science, au doute, au refus de l’argument d’autorité ? Avec une énorme différence du Pastafarisme – car il en faut toujours une – vis-à-vis de tous ses cultes qui l’ont précédé : la foi en la contingence de toute chose, et non en un principe créateur. De quoi conclure que chaque époque génère ses envies de conversion, et ses besoins de rassemblement.



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7 réponses

  1. @ François : cit. « une invitation aimable aux croyants à interroger le réalisme du contenu de leur foi » … En première lecture, je vous dirai « foi » et réalisme et même « contenu » ne peuvent faire bon ménage…
    et (re)cit : « envie de conversion et besoins de rassemblement »…cette dernière proposition,n’est-elle pas le propre de l’homme…J’y reviendra…

  2. Bonjour François,
    Quand on veut décrire quelque chose qu’on a jamais vu, il faut forcément utiliser des mots de vocabulaire connus et donc tacher de les expliquer par analogie à de choses existantes . De plus pas besoin de prouver que Dieu n’existe pas puisqu’on ne sait pas prouver qu’il existe.
    Mais! il est encore plus difficile de prouver que tout s’est fait par hasard. A partir de quand le hasard, ou plutôt le Hasard s’est mis à faire fonctionner un système magnifique ou tout est régler comme du papier à musique??
    Ayons donc l’humilité d’accepter que nos cerveaux ne sont pas assez développés pour comprendre ces choses là. Si vous n’avez ps envie de croire, vous ne croyez pas. Si d’autres ont envie de croire, ils croient.

    • Bonsoir Albert Van Vyve,
      Il est en effet impossible, par définition, de démontrer une inexistence (sauf en mathématiques, par l’absurde). En revanche, l’athée que je suis constate qu’aucun dieu n’a jamais donné le moindre indice concret et donc objectif de son existence réelle …
      J’en conclus que les dieux n’ont qu’une existence subjective, imaginaire, et donc illusoire, à la suite d’une éducation et d’un milieu croyant, les religions excluant volontairement la découverte des options non confessionnelles (même aux USA !). Ces influences laissent hélas des traces le plus souvent indélébiles dans les neurones su cerveau émotionnel, puis rationnel …
      Le « hasard », sans majuscule, est à mes yeux, le résultat de centaines de millions d’années, d’adaptations à l’environnement, après d’innombrables essais et erreurs qui n’ont pas laissé de traces.
      http://originedelafoi.eklablog.com

    • Bonsoir Albert,
      Un monde « magnifique ou tout est réglé comme du papier à musique », où les justes font la loi et les truands sont inoffensifs, où la maladie, la haine, les guerres n’existent pas, où aucun enfant ne meurt de faim, de froid ou de torture, constitue effectivement un bon début de présomption que, sur votre planète lointaine, un dieu existe et a pris les commandes.
      En revanche, j’ai le triste devoir de vous informer qu’ici, sur la Terre, ce n’est manifestement pas le cas.

  3. C est le gars de durbuy dont je te parlais par rapport à la question des lunettes sur photo d identité 

    Envoyé depuis mon appareil Samsung

  4. Bonjour François, Denis et Michel,
    Le monde est une chose, ce que les humains en ont fait est autre chose. D’accord pour le hasard au lieu de Hasard, mais qu’est ce qui à rendu cet hasard possible?
    Vous faites la même erreur de base que les créationnistes, en ce sens d’exclure-à priori- que tout autre hypothèse que la votre ne soit possible: Puisque Dieu n’existe pas, c’est donc le hasard aussi hautement improbable soit-il, qui a créé le monde.
    Mais trêve de dialogue de sourds,comme écrit plus haut mon cerveau n’est pas en mesure de trouver la solution, si le votre l’est bien, je suis content pour vous!

    • Bonsoir Albert,
      « Qu’est-ce qui a rendu ce hasard possible ?  »
      Je ne vois qu’une seule explication rationnelle : c’est l’infinie longueur du temps. Mais hélas les moins que centenaires que nous sommes sont incapables de concevoir une durée de plusieurs centaines de millions d’années d’évolution !. Ce sont donc, selon toute vraisemblance, les innombrables adaptations du vivant en fonction d’environnements toujours différents, aussi bien dans le sens de la survie d’une espèce que de sa disparition, qui expliquent l’infinie variété actuelle des espèces animales et végétales.

      L’athée que je suis estime pourtant que les dieux « existent », mais seulement de manière subjective, imaginaire et donc illusoire, parce que les religions les y ont mis précocement et émotionnellement dans le cerveau de ceux qu’elles ont endoctriné sans alternatives, à l’insu de leur plein gré.
      Croire que « le monde a été créé », tout comme la notion de commencement, est anthropomorphique. N’est-il pas plus probable que l’univers a toujours existé, sous forme de matière ou d’énergie (E=M.C²), et qu’il se transforme au fil d’un temps et d’une espace infinis (« rien ne se crée, tout se transforme » Lavoisier) ?
      Mon cerveau d’athée (qui, lui, s’est affranchi à 21 ans de la foi protestante imposée par tradition), malgré ses nombreuses lacunes, me semble seulement plus rationnel que le vôtre, tout aussi respectable.

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