Chronique pour l’Echo, 15 juin 2018
Lorsqu’un pays se qualifie pour une phase finale de coupe du monde, les supporters exultent et les commerciaux de nombreuses grandes marques soupirent de soulagement. Car instantanément, c’est un gigantesque marché qui se crée : maillots, grands écrans, drapeaux tricolores et autres vignettes se déversent comme autant de produits présentés sur les étals de nos âmes d’enfants, qui ont envie de croire qu’il existe une fête du football dont on peut se repaître sans mauvaise conscience, comme si ce bonheur était gratuit.
Car la Coupe du Monde possède cette extraordinaire faculté d’éluder pour quelques semaines, par la grâce de sa lumière, les nécessaires ombres qui la rendent possible. Entre parenthèses, la fabrication des maillots pour les supporters à 1€ en Asie et revendus ici à 70€ pièce. Entre parenthèses, le processus d’attribution des éditions 2018 et 2022, où la liaison pornographique entre sport et argent ne se fatigua même plus à sauver les apparences. Entre parenthèses, les vies d’ouvriers déjà perdues sur les chantiers de construction des stades au Qatar, sacrifiés à la gloire du Dieu Football dans l’indifférence générale.
Entre parenthèses, surtout, le fait que le principal événement médiatique du monde consiste à suivre 22 millionnaires (à quelques exceptions près) jouant à la balle pour distraire des prolétaires par grand écran interposé – les bourgeois, eux, peuvent encore se payer une place dans le stade.
Tout cela, nous le savons… sans vouloir le savoir. Car le marketing est parvenu à capturer notre âme d’enfant et à l’enfermer dans des vignettes Panini. Tout cela nous le savons, mais considérons que c’est le prix à payer pour un peu d’engouement et d’émerveillement. Pour saisir ce moment magique des débuts, lorsque personne n’a encore perdu.
Les grands clubs étaient déjà devenus des marques. Lors d’une coupe du Monde, les nations le deviennent aussi. La boucle se trouve ainsi bouclée lorsqu’un célèbre producteur de bière (les hommes savent pourquoi) décide de rebaptiser « Belgium » sa pills traditionnelle le temps de la compétition.
Et ô surprise : ça sonne finalement bien, « Belgium », pour une marque de bière. Parce que, par sa genèse improvisée et surréaliste, la Belgique se trouve redoutablement armée pour cet univers de loisirs mondialisés, dans lequel les nations recyclent les identités en produits de consommation.
Nommer une bière « Belgium », finalement, c’est se contenter de promesses qu’on peut tenir.
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Bravo! Peu de mots et tout est dit. Cela rassure, après la casuistique du JP de la RTBF, à 18h, où des journalistes pourtant talentueux s’efforcent de sauver les meubles (et leurs émissions) en argumentant que grâce au foot, on en sait enfin plus sur la Russie… Quant au fric, que voulez- vous, ce n’est pas pire qu’au cinéma. Ou l’art d’éluder les questions qui bousculeraient l’amusement unique ( évoquer ici la pensée finir par être obscène…). Merci !
Sans compter qu’un footballeur millionnaire peut se payer l’exploitation sexuelle d’une prostituée sans plus que cela n’indigne personne.