Chronique pour l’Echo, 5 juillet 2018
Lundi 2 juillet, match Belgique-Japon. 52ème minute. En une poignée de secondes, les nippons viennent d’inscrire deux goals. Les Diables rouges apparaissent au bord de l’élimination. Dans ces moments tragiques se distinguent deux sortes de supporters.
Ceux qui se laissent porter par les émotions ambiantes, déduisent que le ton donné va être celui du reste du match et baissent les bras, quittent les lieux (comme ces Belges qui ont tenté de sortir du stade mais n’ont pas pu, heureusement pour eux), s’éloignent de l’écran géant ou éteignent leur télévision d’écœurement – comme je l’ai fait moi-même lâchement durant dix minutes (oui, je reste un amateur).
Et puis il y a les autres, les vrais, ceux qui acceptent que les gouffres ou les défaites font partie du jeu, qui gardent confiance, regarderont jusqu’au bout et ici, en l’occurrence, récolteront les fruits de leur patience par l’adrénaline insufflée par une remontée miraculeuse.
Le succès planétaire du football doit beaucoup à la dramatisation des émotions qu’il permet. Comme à l’opéra, le jeu est cadré par une unité de temps et de lieu, dans laquelle des personnages se déploient. Les Grecs antiques l’avaient montré : ce que l’homme vient chercher au spectacle, ce sont des émotions et celles-ci n’ont rien de fictif. Les humains sont accoutumés aux émotions fortes, les recherchent partout où elles se trouvent. Ils aiment en particulier les montagnes russes émotives ; Belgique-Japon est un modèle dans le genre. Rien ne vaut le goût de la victoire lorsqu’on a senti l’haleine de la défaite sur ses crampons. La joie au coup de sifflet final, qui ponctue de surcroît l’apothéose du goal libérateur, engendre une joie qui n’aurait pas été la même si la Belgique avait tranquillement dominé son sujet le long du match, tel que cela était écrit.
Ce qui est intéressant, c’est que pendant que les spectateurs de cette pièce se décomposaient, les acteurs de cette pièce ont, eux, dominé leurs émotions. Car telle est toute la différence entre les équipes capables de gagner une coupe du monde et les autres. Ce vendredi soir, contre le Brésil, les Belges seront enfin face au choix qui se dessine à eux lentement depuis plusieurs années, et qui va trouver sa résolution devant la meilleure équipe du tournoi : rester les Diables rouges d’hier, contents d’être déjà là, ou décider une bonne fois pour toutes que cette coupe est pour eux et qu’il faut aller la chercher. Car au vu des talents en présence, l’équation est simple : ce match-là sera remporté par ceux qui auront le plus faim. Point.
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