Chronique pour l’Echo, 27 juin 2018
C’est contre l’Angleterre que les Diables Rouges joueront ce jeudi leur dernier match de groupe, avec comme enjeu la première place. Championne du monde en 1966, l’Angleterre se cherche depuis lors un second souffle en tant que sélection nationale, tandis que ses équipes de clubs trustent les succès dans les différentes coupes d’Europe – écart de sort que ne connaissent pas, par exemple, l’Allemagne ou l’Espagne.
La faute à la dispersion entre équipes d’Angleterre, du Pays de Galles, d’Ecosse, Irlande du Nord ? Cette division est pourtant elle-même un héritage de l’histoire du football. Lorsque fut créée la FIFA en 1904, les différentes équipes britanniques, déjà existantes, furent considérées comme trop puissantes pour être réunies en une seule sélection.
Car c’est le moment de rappeler combien le football est en partie une histoire anglaise. Les Britanniques n’ont certes pas inventé le jeu lui-même, mais ils l’ont codifié, réglementé, organisé, transformé en ce qu’il est devenu aujourd’hui : un soft power mondial, qui a depuis bien longtemps échappé à son créateur, mais qui véhicule avec lui un ADN universel. Les Anglais ont fait sortir le jeu de la soule (ancêtre commun du football, du handball et du rugby) de son répertoire postféodal pour le doter de l’armature qui allait en faire un universel aussi accessible que populaire, comme Saint-Paul rendit le christianisme universel en portant la bonne parole aux non-juifs.
Depuis, l’analogie semble permise. Il en va de l’universalité du football comme de l’universalité de la langue anglaise : dominante, indispensable, mondiale, accessible, maniable. Comme la langue anglaise, le football se pratique avec peu de moyens, engageant une trompeuse impression de facilité ; entre l’anglais d’aéroport et la maîtrise des subtilités de la langue de Shakespeare existe un gouffre que seuls de parfaits bilingues peuvent mesurer. Un écart très comparable, finalement, à celui qu’on observe entre le regard profane qui se contente de s’exciter à chaque fois que le ballon approche d’un goal et le regard de l’expert qui voit se dessiner des figures géométriques au gré des déplacements construits des joueurs. Dans les deux cas, le succès se fonde en même temps sur une compréhension aisée des bases, et un niveau élevé de distance entre profanes et experts.
Tel est l’atout maître de tout soft power : être assez accessible pour que tout le monde puisse participer sans se sentir soumis, et assez élaboré pour que la marge de jeu reste attractive.
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