« Bienvenue et débrouillez-vous »

Billet radio pour la Première (RTBF), 22 mai 2012 – Ecoutez le podcast

On s’est beaucoup moqué du « kit d’intégration » que le gouvernement flamand met à la disposition des nouveaux migrants en séjour régulier. C’est vrai que s’entendre expliquer que les Flamands sont des gens qui vivent plutôt dans leurs maisons, c’est rigolo. Se faire rappeler que les Flamands sont des citoyens ponctuels qu’il est de bon ton de ne pas déranger après 10h du soir, c’est même cocasse. Et quand on ajoute à ce paternalisme frileux le « bad trip » nationaliste que la Flandre s’offre depuis quelques temps, on comprend le contexte de diabolisation dont souffre la fameuse politique d’inburgering depuis sa mise en œuvre en 2004, et qui met en exergue chacune de ses maladresses.

Toutefois, la maladresse, c’est toujours délicat de la moquer, parce qu’il n’y a que ceux qui essaient de marcher qui trébuchent. Les Flamands ont au moins le mérite, eux, d’avoir un parcours d’intégration depuis 8 ans, contrairement à la Wallonie et à Bruxelles. Pendant toutes ces années, le simple fait de proposer un parcours migratoire dans le sud du pays apparaissait comme une velléité de contrôle et d’assimilation des étrangers mue par de sombres desseins. Et puis – alléluia – on a appris tout récemment qu’un parcours commun à la Wallonie et à Bruxelles était en gestation. Une sorte d’inburgering francophone, avec cours de langues, accompagnement, etc. Mais avec une différence majeure : l’absence de caractère obligatoire. Arrêtons-nous sur cet élément, puisque c’est le nœud de la polémique.

Lors d’un récent colloque, un ministre bruxellois expliquait que cette absence d’obligation, propre à l’espace francophone, serait… culturelle. C’est exact : il y a un vieux fond idéologique puissamment ancré qui considère qu’on attaquerait les primo-arrivants dès le moment où on leur proposerait une forme quelconque de parcours d’intégration. En ces temps où chaque parole, chaque prise de position est disséquée jusqu’au cœur de ses plus secrètes intentions, il existe une peur profonde de se voir reprocher toute velléité d’assimiliationnisme, de racisme, ou simplement d’intolérance. Et cette peur nous tétanise parfois au-delà de la raison.

Car la question, philosophiquement, mérite d’être posée : l’obligation est-elle nécessairement agressive ? Est-elle ou non efficace ? Bref, l’obligation est-elle réductible à sa sanction ou pourrait-elle constituer le vecteur d’autre chose ? Le droit de vote, par exemple, est obligatoire en Belgique. Personne ne le considère pour autant comme une agression contre les électeurs, ni ne songe un instant à mettre en cause son efficacité. Pourquoi ? D’abord parce que cette obligation marque et valorise depuis longtemps la reconnaissance d’un droit. Ensuite parce que tout le monde sait que cette obligation est symbolique – dans les faits, pratiquement plus personne n’est poursuivi pour défaut de vote. Le temps a fait son œuvre pour implémenter cette obligation et l’habiller comme un droit démocratique. Tout est là : l’intérêt de l’obligation ne réside évidemment pas dans la sanction qu’elle présuppose mais dans la sanctification qu’elle permet. Il en est de même  pour l’inburgering flamand : au-delà des quelques amendes, les principaux intéressés semblent approuver l’utilité d’un parcours qui, en premier lieu, a le mérite d’incarner un message de reconnaissance : « on est content que vous soyez là, et on va vous donner les outils pour que vous vous sentiez chez vous ».

Tel est bien le problème, et il est en effet culturel : souhaitons-nous assumer une véritable politique d’intégration proactive, qui obligerait les autorités à entretenir un message clair d’inclusion vis-à-vis des migrants ? Souhaitons-nous sortir du confortable flou actuel où l’on développe quelques politiques éparses sans oser un message de fond qui consisterait à dire qui est le bienvenu, à quelles conditions, et donc – inévitablement – à déterminer les valeurs communes de la société d’accueil ?

On le perçoit bien : l’obligation n’est qu’un outil. L’enjeu réside surtout dans la consistance et la réalité de ce qu’on offre comme message. Or, on ne voit guère comment une autorité qui ne propose pas un discours clair et inclusif vis-à-vis des migrants pourrait comme par magie engendrer le sentiment d’appartenance, d’envie et de fierté qui fait tant défaut aux primo-arrivants vis-à-vis de leur pays d’accueil, et dont la carence peut légitimement offrir l’envie de se recentrer sur leurs identités propres. Pour le dire autrement, je ne suis pas certain que j’aurais moi-même envie de m’intégrer dans une société qui ne considère pas que ma présence est quelque chose d’important et qui mérite d’être l’objet d’une politique proactive. L’intégration complètement facultative, c’est comme la culture entièrement gratuite : le cap où la bonne conscience finit par tuer ce qu’elle voulait promouvoir en lui ôtant consistance et crédibilité.

Bref, il n’est pas sûr qu’on donne envie de s’intégrer à des gens dont on fait à moitié semblant qu’ils ne sont pas là. Bien sûr, tout n’est parfait dans l’inburgering. Bien entendu, on n’intègre pas à coup d’amendes, tout comme on ne renforce pas le civisme en punissant l’électeur-fantôme. Mais dans ces deux cas, une contrainte, fut-elle minime et symbolique, ne servirait pas nécessairement à dire aux gens qu’on ne les aime pas ou qu’on ne veut pas d’eux – cela peut même être exactement le contraire. Un parcours facultatif, purement informatif, cela offre un vernis agréable de tolérance, mais cela envoie surtout un message de chaos et de débrouille. « Bienvenue. Et à présent, débrouillez-vous ».



Catégories :Chroniques Radio

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2 réponses

  1. Bien dit, ou plutôt écrit, François!

  2. « Les Flamands ont au moins le mérite, eux, d’avoir un parcours d’intégration depuis 8 ans, contrairement à la Wallonie et à Bruxelles.  » ???

    La Belgique Quesaco ?

    La Belgique Quesaco ? Le 12 mai 2010, les trois gouvernements francophones se sont accordés pour définir les grandes lignes d’un parcours d’accueil et d’intégration des primo-arrivants. (Lire Alter Echos 316 « Enfin un parcours pour les primo-arrivants »). Une étape de ce processus était de mieux outiller le secteur.

    C’est désormais chose faite ! Le Fonds européen d’intégration vient de présenter une série de guides, de modules, de référentiels, destinés à améliorer l’accueil des primo-arrivants. Parmi ceux-ci, le guide Vivre en Belgique, réalisé par l’Agence Alter.

    Comment est organisé l’enseignement en Belgique ? Comment choisir sa mutuelle ? Peut-on vivre en couple sans être mariés ? Comment conclure un contrat de bail ? Autant de questions auxquelles le primo-arrivant pourra y trouver des réponses.

    http://www.alterechos.be/index.php?p=breves&d=i&c=a&art_id=22417&listby=day&art_date=2012_05_15

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