Billet radio pour la Première (RTBF), 29 mai 2012
Nous vivons une époque formidable : le gouvernement flamand a rédigé une charte. Une charte qui explique ce qu’est la Flandre, ce qu’elle veut, où elle va. Naturellement le mot « charte » n’impressionne plus personne, pas plus que ces autres noms ronflants tels que « contrat d’avenir », « grenelle » et autre « plan Marshall 2.vert »… Le monde politique, hélas, nous a habitués depuis quelques temps déjà à cette douce infantilisation consistant à nous vendre des textes déclaratifs comme si c’était des tables de la loi tombées du Mont Sinaï. Comme des enfants qui finissent par s’inventer quelque chose sur quoi avoir prise.
Suivant cette logique, me direz-vous, pas de quoi fouetter un chat avec cette charte flamande, qui en outre a bien pris soin d’éviter de s’appeler Constitution. Sauf que tout le monde, au sud, se demande si la Flandre va larguer les amarres en 2014 si la N-VA réussit pour de bon à rendre le pays ingouvernable ; on scrute donc à la loupe de quelle manière le Nord fait usage de mots comme « nation » ou « Etat » pour tenter de cerner le subconscient néerlandophone. La charte flamande c’est le 3.258ème épisode de ce feuilleton passionnant depuis 1830 : « La nation flamande finira-t-elle par avoir la peau de la non-nation belge ? ». Rassurez-vous, la Flandre elle-même ne le sait toujours pas. Sans quoi elle aurait arrêté la coproduction depuis longtemps.
Pourtant, sans doute faudrait-il remettre quelques pendules à l’heure au sujet de ce qu’est une nation. C’est un fait : notre petit pays est incongru dans le concert des nations fortes, affirmées, sûres d’elles-mêmes. La nation, qu’elle soit ou non Etat, c’est l’extrapolation maximale de l’identité. C’est l’affirmation de soi qui relie les hommes entre eux vers un destin commun dépassant leurs petites personnes. Pour ceux qui voient dans l’aventure des nations l’évolution naturelle des sociétés, la Belgique est une fantaisie comparable aux ossements de dinosaures pour le créationniste: alors que tout Etat normalement constitué se bat pour étendre son influence ou défendre ses intérêts, nous sommes perclus par le doute et nous interrogeons en permanence sur notre existence. Au regard des critères nationaux classiques, nous ne devrions pas exister ou ne pas avoir survécu.
Ce qui est intéressant, c’est la pleine conscience que nous avons de cet état de fait. La nonchalance avec laquelle nous assumons « l’accident de l’histoire » que nous serions, ferment de notre légendaire humilité et de notre éternel complexe, nous vaut tantôt la compassion, tantôt le mépris des autres nations, celles qui ne doutent pas. De ce sentiment d’artifice nous avons tiré une fierté singulière, une aptitude au compromis, un nid de création surréaliste – comme quoi rien ne se perd, tout se transforme.
Car la nation, ça prend peut-être les tripes dans une bonne mobilisation générale ou un match de coupe du monde, mais c’est en soi un projet vide – que cette nation s’appelle France, Belgique, Allemagne, Flandre ou Ecosse. La nation, c’est le remède contemporain à la finitude : les hommes s’y réfugient pour penser la permanence alors qu’ils sont passagers, la force alors qu’ils sont fragiles. La nation est un antidépresseur collectif, qui nous fait oublier notre condition humaine. Si la Belgique est un objet insupportable aux nationalistes (ceux de l’intérieur la haïssent, ceux de l’extérieur la méprisent), c’est précisément pour cette raison : éloge de ce qui ne devrait pas être et qui est tout de même, elle nous rappelle notre propre fragilité et ose valoriser sa contingence comme marque de fabrique. C’est insupportable. Un nationaliste n’aime ni réfléchir, ni se remettre en cause. La nation, c’est l’identité donnée clef sur porte, gratuite. Au 21ème siècle, elle ne vous demande que d’agiter des fanions, de claironner des hymnes et d’être fier de ce que vous êtes. La nation c’est l’identité facile, sans construction, sans échange. C’est la victoire de l’inné sur l’acquis, de l’inertie sur le mouvement – en résumé, la nation, c’est tout de même un peu un passe-temps de barakis.
En revanche, la communauté qu’est devenue la Belgique, c’est autre chose. C’est l’identité en construction, en bataille, en compromis. C’est la victoire du doute sur les vieilles certitudes. Du surréalisme sur la route droite. Et d’une d’évidence sur l’histoire : toutes les nations sont des accidents. Toutes sont nées par conquêtes, rapports de force, assimilations, hasard, coups du sort. La vraie singularité de la Belgique ce n’est pas d’être un accident de l’histoire, mais d’être l’une des seules nations à le savoir. C’est pour cela que l’attachement des Belges à leur pays relève moins du patriotisme béat que de la sincère tendresse.
Les poussées nationalistes constituent le mal nécessaire de cette dialectique. Il n’y aurait ainsi pas de mouvement flamand sans Belgique car pour exister, il faut toujours un ressort contre lequel gagner sa « liberté ». Mais pour quel projet ? La charte flamande ne résout pas ce problème : la nation est un moyen. Si elle devient une fin en soi, elle s’autodétruit. Car le sens de la vie ce n’est pas de la passer à être flamand, wallon, javanais ou quoique ce soit d’autre, mais simplement de la vivre.
Il ne faut donc pas envier ceux qui ont comme ambition de vie la pureté d’un Etat, d’une langue, d’une culture. Ils sont infiniment à plaindre. Et ils ne voient pas la chance qui est la nôtre dans le concert des nations : celle d’être un pays qui, finalement, ne se prend pas pour davantage qu’un pays.
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J’ai déjà lu pas mal d’idioties pour défendre ou promouvoir la Belgique, mais ici, c’est le pompon !
@Stéhane Dohet: Un « preums » aurait suffit.
C’est quoi un « preum »?
De quelle « idioties » parlez-vous ? je suppose que vs faites allusion à la video de Youtube ? vu que le texte du podcast reflète bien la réalité Belge…
« La vraie singularité de la Belgique ce n’est pas d’être un accident de l’histoire, mais d’être l’une des seules nations à le savoir. C’est pour cela que l’attachement des Belges à leur pays relève moins du patriotisme béat que de la sincère tendresse. »
Bienvenue au pays des bisounours. Belgique, c’est la fierté de n’être rien, de le savoir et de le revendiquer !
L’attachement à la Belgique est une belle représentation du principe d’inertie. On est Belge par défaut. C’est une identité tellement fragile que la moindre volonté d’afficher son identité wallonne (ou flamande) est vue comme une menace de séparatisme.
La Belgique, et les francophones, sont entrés (à raison) dans l’ère du soupçon d’une explosion programmée.
« Une double lecture absolument sublime » » dit le constitutionnaliste de l’ULg, Christian Behrendt.
http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20120524_00162605