Faire de la politique au temps du Covid-19

S’il y a une chose que j’ai apprise depuis deux mois sur ce virus, c’est qu’il nous est encore largement inconnu. Depuis le début, nous en sous-estimons les effets et les dégâts. Depuis le début, collectivement, nous avons un coup de retard. Et nous apprenons à chaque fois, douloureusement. Je suis donc fasciné par la conviction affichée de ceux qui, grâce à je ne sais quelle boule de cristal, savent d’ores et déjà qu’il n’y aura pas lieu de prolonger les pouvoirs spéciaux après trois mois, voire qu’on pourrait même faire tomber ce gouvernement au mois de juin.

Nous n’en savons rien. Parce que nous ne savons pas dans quelle situation nous serons fin juin. Le nombre d’épidémiologistes amateurs a certes explosé depuis deux mois, lui aussi, et chacun semble avoir une nette idée de ce qu’il faut faire, en opposant le bon sens populaire à la froideur des experts ou à l’incompétence des politiques. Alors d’accord, sans aucun doute, des bilans devront être faits et des leçons devront être tirées. Mais la vérité c’est que le caractère inédit de la situation contraint aussi à de l’humilité. Jamais dans l’histoire récente, il n’a fallu traiter d’un problème concernant toute la population, et mettant en balance des enjeux aussi fondamentaux en termes de santé et d‘économie. Nous tentons de prévoir dans un contexte encore très imprévisible. Parce que ce virus n’a hélas pas encore révélé tous ses secrets.

On aurait tendance à l’oublier au vu des chiffres en baisse, mais c’est ainsi : la situation sanitaire est toujours très grave. Il y a encore plus de 100 morts chaque jour. Il y a toujours un grand nombre de personnes hospitalisées. Et nous n’avons jamais déconfiné un pays. Par définition, nous ignorons si cela réussira. Nous ne savons pas comment le virus se comportera, si nous allons pouvoir éviter ou non un second pic. Certains pays ayant déconfiné, comme le Japon et Singapour font marche arrière. Certains pays qui avaient géré admirablement l’épidémie, comme l’Allemagne, sont à présent plus fébriles. Nous n’étions pas prêts logistiquement, c’est évident. Mais nous n’étions pas non plus prêts psychologiquement – et je ne suis pas encore certain que nous le soyons aujourd’hui. Nous sommes en terra incognita et nous avançons avec des lampes de poche. Ca n’excuse pas tout, mais ça explique beaucoup.

Alors, vraiment, est-ce le moment de jouer le rapport de forces ? Est-ce le moment d’avancer ses pions pour le coup d’après, comme si la crise que nous traversions n’était plus qu’un décor nouveau pour les jeux politiques habituels ? Ce serait n’avoir rien compris à ce qui nous tombe dessus.

Bien sûr, la situation est inconfortable pour les sept partis qui ont accordé les pouvoirs spéciaux sans faire partie du gouvernement ; ils ont en effet un pied dedans, un pied dehors. Ils peuvent accompagner une partie de la gestion en travaillant sur les arrêtés de pouvoirs spéciaux et en les améliorant, mais n’ont rien à dire sur les décisions du Conseil National de Sécurité ni sur les décisions du gouvernement au jour le jour. C’est vrai et ce n’est pas simple. Il faut jongler entre la volonté d’être constructifs pour aider au mieux nos citoyens, et résister à la tentation facile de tirer sur les ambulances (personnellement j’ai horreur de ça) en voyant les dysfonctionnements s’accumuler (et convenons qu’il y a de quoi, parfois, perdre son calme). Mais que celui qui pense qu’il fallait affronter cette crise et ses milliers de morts sans un gouvernement de plein exercice, aussi insatisfaisante soit sa composition, nous jette la première pierre.

Et surtout, restons sérieux : ces mêmes partis gardent toute latitude de porter leurs critiques, au sein du parlement et dans l’espace public. Nous ne nous en privons pas, depuis des semaines : non, en effet, ça ne va pas sur les tests, ça ne va pas sur les masques, ça ne va pas sur beaucoup de choses… Mais ça marche par contre sur d’autres plans. Et surtout la situation est encore grave, beaucoup trop grave, et beaucoup trop incertaine pour autoriser les jeux politiques de rapports de force habituels. Pas maintenant. Et pas avant que nous ayons réellement maîtrisé l’épidémie dans notre pays. Or, pour juguler l’épidémie, il faut un minimum d’adhésion de la population : le confinement ne pouvait marcher si la population ne le respectait pas. Le port de masques ne fonctionnera pas, demain, si on ne les porte pas correctement. Et le traçage, quelle que soit sa forme, ne permettra pas de sortir de la crise si les citoyens ne jouent pas le jeu.

Et puis enfin, « un accord est un accord ». Pour ma formation et pour moi-même, c’est un principe cardinal. En l’occurrence, l’accord prévoit l’éventuelle reconduction des pouvoirs spéciaux après évaluation après trois mois, et un vote de confiance au mois de septembre, date à laquelle, en effet, il faudra avoir formé un véritable gouvernement – ou constaté que ce n’est pas possible.

Mais est-ce trop demander, d’ici là, de consacrer toute notre énergie à combattre ce virus, à prendre soin de nos citoyens et à relancer notre économie ?

A dire vrai : comment est-il possible que qui que ce soit, dans le monde politique, ait actuellement autre chose à faire ?



Catégories :DéFI

2 réponses

  1. Merci François, continue ainsi. Erik

  2. Bonjour François, Ça semble rouler pour toi et je m’en réjouis. Réponds-moi afin que j’enregistre ton mail et, si ça te convient, que nous puissions échanger de temps à autre, Amitiés, Marc

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