C’est chaque année la même ritournelle : on constate, et parfois déplore la désaffection des visiteurs venus fleurir les tombes de leurs proches au cimetière. La fréquentation des cimetières est en baisse constante, et la notoriété de la fête de Toussaint et du Jour des Morts l’est aussi.
Il y a évidemment une série de facteurs contemporains : tout d’abord, augmentation de l’espérance de vie oblige, on meurt en moyenne un peu moins, c’est-à-dire moins vite – personne ne s’en plaindra. Ensuite, et surtout, la crémation prend une place prépondérante. La tombe n’est plus un lieu de recueillement, parce que le défunt est dématérialisé – et la mort, quelque part, l’est avec lui. La désacralisation et désécularisation de nos sociétés passent par là – on doit, paraît-il, parler désormais de « vacances d’automne » et non plus de « vacances de Toussaint ». Doit-on en déduire que nous, postmodernes speedés, ne pensons plus à nos morts, jetés aux quatre vents du temps et presque plus statufiés sous marbre ? Bien sûr que non. Nous y pensons différemment, parce que le rapport à la mort a lui-même évolué.
Prendre soin des tombes, c’était prendre soin aussi des âmes, c’était s’inscrire dans l’au-delà. Aujourd’hui, bien que la spiritualité imprègne encore fortement notre univers, le scepticisme croissant sur la survivance de l’âme et sur la survie après la mort nous ramène à une sorte de « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » métaphysique. C’est la vie que l’on célèbre, c’est le présent et l’avenir que l’on fête, et non plus le passé ou les morts, parce qu’on estime que la meilleure manière de rendre hommage à nos proches disparus est de vivre chaque instant avec eux en bandoulière de nos cœurs ou de nos cerveaux, et non de les porter en croix de nos regrets. Cela ne nécessite plus, dès lors, de matérialiser leur souvenir par une visite au cimetière.
Symptôme caractéristique de cette évolution : tels des vases communicants, la fête d’Halloween ne cesse de s’implanter au fur et à mesure que Toussaint décline. Il y a là un rapport évident, au-delà de l’origine commune de ces deux fêtes. La Toussaint propose le recueillement, le passé et la mort. Halloween propose la fête, l’avenir et la vie. Que l’on préfère donner des bonbons à des enfants déguisés qu’aller fleurir des tombes marque un intéressant tournant des mœurs. Dans un monde postmoderne qui transforme son passé en une pure contingence dont elle refuse le poids, l’investissement dans l’avenir semble constituer la seule voie admissible, quitte à faire de celle-ci une autoroute sans bretelle de sortie. Un course folle vers l’avenir sans recul, qui devient en elle-même problématique, d’ailleurs : la plupart de nos problèmes contemporains, tels que la finance et l’écologie, sont directement issus d’une tendance à préférer l’avenir et à s’y diluer, non seulement au détriment du passé, mais aussi du présent. Les « dettes » financières et écologiques que nous contractions sur le dos de nos enfants en sont les meilleures preuves.
Halloween tente d’exorciser la mort tel un film d’horreur en trois dimensions. Une fête qui sublime la peur en célébration et interdit, pour un temps, de faire de la mort une résignation. Reflet d’une époque qui refuse de regarder dans le rétroviseur, mais qui ne sait plus exactement où elle va.
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Vive la vie, même celle des morts vivant encore dans nos pensées, nul besoin de cimetière ni de célébration , car du berceau, l’enfant va à la mort mais entre temps vit sa vie voilà là tout l’important …
Helloween !
Jolie formule ce : « on estime que la meilleure manière de rendre hommage à nos proches disparus est de vivre chaque instant avec eux en bandoulière de nos cœurs ou de nos cerveaux, et non de les porter en croix de nos regrets. »
Cela vaut pour les Vivants aussi ?
Alors(ween) je profite de cette Toussaint pour te dire le plaisir que j’ai à te lire et le bon souvenir que tu demeure « dans mon cerveau et mon cœur »….
car comme vient de le dire Juliette Gréco à propos de son ami Brel qu’elle chante à nouveau:
« L’oubli, c’est la mort la plus certaine… »
Bien cordiales salutations,
Christian, le tempétueux….
Touché, cher Christian… Amicales pensées à toi aussi, et à bientôt.
François,
Un texte riche (comme d’habitude…enfin pas toujours, ne soyons pas flagorneurs)…d’interrogations et d’observations fines.
Je n’entrai pas dans le distinguo entre la Toussaint (1 nov.)et la « fête » des morts (2 nov.)
Halloween est à la mort, ce qu’est le « train fantôme » à la foire (=fête foraine), ou les films d’horreur : un spectacle, des frisons….sauf dans la tradition celtique (et dans d’autres civilisations) où le culte des morts (avec ou sans quelque « chose » après), est une constance de l’espèce humaine…même si on a observé des « pratiques funéraires », dans le monde animal …pour des raisons prophylactiques.
Par contre, ce qui caractérise notre époque, c’est l’évacuation de la mort, son éjection de la vie, alors que la mort est la seule certitude du vivant : nous mourrons tous un jour ! Le quand et le comment : nul ne le sait.
Aujourd’hui, on meurt à l’hôpital, en maison de retraite : le cadavre est évacué dans un funérarium, (deux jours, deux heures de visite, le plus souvent, cercueil fermé,etc)…enterré ou brûlé, les cendres dispersées, le souvenir effacé : service minimum, fin de partie sans « game over »….
Le tout à l’image du temps : un monde virtuel mais matérialiste, quelques images…La mort est inutile, les morts ne servent à rien…Circulez : il n’y a rien à voir…Mais oublier le passé, refuser de « regarder dans le rétroviseur » n’implique pas que notre vision se concentre sur le futur …Pour beaucoup d’autres raisons,,.nous avons la « tête dans le guidon » : une vision hyper myope…et on ne cherche pas de lunettes … la symbolique des trois singes : ni voir, ni entendre, ni parler….seulement survivre.
Bonjour François,
Je relis avec plaisir votre post aujourd’hui … et je voulais déposer ici ce lien vers un article que j’ai lu hier sur la Danse macabre de la Chaise Dieu : http://www.herodote.net/L_abbatiale_et_sa_Danse_macabre-article-228.php
J’y trouve écho à vos réflexions et j’aime le son que cela fait à mes oreilles …
Merci !
Bénédicte