Dernier inventaire avant liquidation

Billet radio pour la Première (RTBF), 16 octobre 2012

Ah, les communales, ce perpétuel mélange de déjà vu et de petites surprises ! Ces provinces, dont on va à nouveau oublier l’existence et attendre six ans avant de se redemander à quoi elles servent. Ces communes, où se font et défont majorités au bout de la nuit, de médiocres trahisons en petits coups bas, où tout le monde a un peu gagné parce que tout le monde a un peu perdu.

Pourtant, l’évènement reste la victoire de la NVA à Anvers et son impact sur la vie du pays. Nouvelle étape du storytelling de Bart De Wever. Le postulat est élémentaire : échapper à la réalité et rester dans le discours, donc dans le mouvement, donc dans l’avenir. Ne jamais s’incarner, ne jamais rester figé. Quand la bicyclette ne roule pas, elle tombe. Ce soir-là, Bart n’est pas victorieux depuis une heure lorsqu’il renvoie déjà la patate chaude. En lançant « négocions dès à présent le confédéralisme » à des francophones estimant avoir donné le maximum la dernière fois, il cherche à donner le tempo et à transformer sa victoire en compte-à-rebours jusque juin 2014 – de toute façon si ça ne marche pas, il s’en fiche, ce sera toujours de la faute des autres. Bref, il fuit le temps présent. Ce renvoi vers le mouvement et vers l’ennemi est essentiel dans sa psychologie. Il redoute de sortir du discours, celui qui permet de stigmatiser, de faire rêver, de promettre, et de rejeter la faute sur l’autre. Ainsi, marcher physiquement sur une ville, c’est fort ; c’est incarner le mouvement, marquer les esprits et offrir un sens à l’histoire par l’image.

En démocratie la force de conviction est le meilleur outil car les esprits se forgent par le mythe, par la narration d’histoires. Il n’est a priori pas vrai que nous vivons dans deux démocraties différentes, mais ça le devient au fur et à mesure qu’on le martèle parce qu’en démocratie le lien entre le poids les mots et la naissance des convictions est direct. La NVA vise à imposer peu à peu l’idée de l’indépendance de la Flandre et à y arriver doucement, en préparant les esprits. Imposer l’agenda comme une évolution naturelle, faire croire qu’on a l’histoire avec soi. Redoutable, mais hâbleur : en réalité personne n’a l’histoire avec soi. L’histoire n’est pas faite que de keerpunten (tournants), elle est surtout faite de kruispunten (carrefours), de flux et de reflux. Elle se dérobe dès qu’on pense faire corps avec elle.

Comment réagir ? Les francophones se divisent grosso modo en deux camps aujourd’hui : les naïfs opiniâtres qui pensent que la NVA finira bien par se heurter à la réalité et qu’il suffit de gérer correctement le fédéral pour revenir à une situation normale, et les dépressifs réalistes qui pensent que nous sommes dans un processus irréversible et qui comptent les jours avant le grand clash de 2014. Les deux approches ont une part de vérité.

D’une part il est exact que le messie Bart De Wever va devoir s’incarner alors que jusqu’ici son esprit planait au-dessus des eaux. A Anvers, il sera obligé de se salir les mains. Bart va devoir composer avec l’abominable réalité de la gestion, et il n’est pas exclu que cette rencontre le fasse tomber de son piédestal – par définition la réalité ne peut pas suivre l’exaltation des discours. Dès le moment où l’on s’incarne, le temps qui vous sépare de la crucifixion est compté.

D’autre part, pourtant, il ne reste que dix-huit mois avant le blocage programmé du pays et les francophones n’ont plus le temps d’attendre. Il serait peut-être temps d’avoir un comportement cohérent vis-à-vis de la NVA et de se battre contre elle sur son terrain : le discours et la vision de l’avenir. Arrêter de considérer la Flandre comme un monstre à rassasier avec des biscuits de réformes institutionnelles, mais comme un partenaire avec lequel nous aurions, demain, toujours des raisons de vivre ensemble plus solides que les Diables rouges ou la dette publique.

Qu’est-ce que la Flandre telle que voulue par la NVA ? Un peuple émergeant qui pense que sa langue est en danger perpétuel, qui voit un ennemi culturel et arrogant en chaque ménage osant fuir en périphérie les prix immobiliers bruxellois. Des travailleurs sincèrement convaincus que leur labeur sert à financer les sans-emplois en Wallonie et qu’une bande de profiteurs organisés – qui en plus les méprisent – les empêchent de s’épanouir. Des gens convaincus que tous seuls, ils vivront mieux et qu’un territoire linguistiquement pur, économiquement prospère, démographiquement âgé et surpeuplé sera un eldorado merveilleux. Ceux-là ne font que voter pour celui qui leur dit ce qu’ils ont envie d’entendre –  au fond, Bart, il n’y pas de quoi être fier. Mais si ce discours-là réunit une majorité absolue, les francophones seront en droit de se demander si cela vaut le coup de s’humilier perpétuellement et de continuer à payer à prix d’or le ticket « Belgique ».

Nous avons dans ce pays une majorité dotée d’un complexe d’infériorité – complexe absurde mais réel. Par définition, on ne peut donc pas s’en sortir sans faire en sorte que ces mondes se parlent et déconstruisent leurs propres représentations. Puisque les Flamands ne parviennent pas à arrêter la NVA, ce sera aux francophones de le faire, sur son terrain. Si on veut démontrer que Bart a tort, il faut créer par les mots et par les faits une autre histoire que la sienne. Par exemple, en se levant et assumant que les francophones continueront si nécessaire seuls une Belgique bilingue et ouverte, même réduite à la Wallonie et à Bruxelles, en laissant la Flandre se construire avec Anvers comme capitale, sa langue comme religion et le repli sur soi comme horizon, et en leur souhaitant bonne chance dans cet avenir enfin pur et monochrome. Ajouter que ce n’est pas ce que nous préférerions et tendre la main en arrachant des réformes aptes à converger les peuples et non à les séparer. Exiger une circonscription fédérale, exiger l’apprentissage des deux langues dans toutes les écoles du pays, multiplier par cent les immersions linguistiques, les échanges de travailleurs, d’entrepreneurs, de journalistes, primer tout ce qui force le mélange, et montrer combien la pureté est par définition mortifère. En tout cas, ne plus laisser le monopole de la narration à Bart et oser raconter une histoire, même folle, même désespérée mais sincère. Bref, fixer notre prix pour continuer tout en préparant les bagages. Les francophones gagneront des Flamands au moins quelque chose dont ils ne bénéficient clairement pas aujourd’hui : être pris au sérieux.

Ou alors attendre. Sombrer dans le lent chaos qui s’annonce. Et avoir la décence de ne plus se plaindre.

Lire aussi:

Bart l’historien et le peuple élu

« Accident de l’Histoire » toi-même!



Catégories :Chroniques Radio

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11 réponses

  1. Excellent article, mais comment oser croire que les politiciens belges voteront pour nous faire à nouveau nous rencontrer, flamand s et francophones? Les querelles linguistiques font aussi les beaux jours des partis francophones, heureux de trouver des wallons apeurés face au lion flamand.

  2. et n’oubliez pas que la Belgique est trilingue. Avec l’Allemagne comme voisindirect, la Wallonie devrait cesser de se contenter d’apprendre le néerlandais à ses enfants. Langue aussi utile internationalement que le letton…

  3. pas encore de commentaires à lire sur cette belle analyse ! allez! je me jette à l’eau ! allo? Il aura fallu plus de 2000 ans pour faire régresser l’esprit de la Démocratie vers la conscience d’une amibe…Et l’effort pour empêcher cette « évolution » est inversement proportionnelle à la facilité de croire que l’égoïsme est une qualité d’avenir…

  4. Nous assistons depuis plusieurs années à un lent détricotage de l’Etat fédéral au profit des régions et celui-ci va se poursuivre.

    Depuis la régionalisation du pays, à chaque réforme de l’Etat (nous en sommes à la 6ème), on attribue davantage de compétences aux régions / communautés. Chacun pour soi.
    Bientôt les compétences de l’Etat fédéral seront réduites à néant. Il se résumera à une coquille vide.

  5. « Puisque les Flamands ne parviennent pas à arrêter la NVA, ce sera aux francophones de le faire, sur son terrain. » L’arrogance et l’attitude anti-démocratique est FSD. Noir sur blanc.

  6. pic taken 😉 censure de la part d’un colonisateur 😉 marrant !

  7. Plus que le discours de Bart De Wever, ce qui me dérange c’est l’accroche qu’il reçoit auprès de ses électeurs …
    Les flamands ne sont pas des victimes, ils savent ce qu’ils veulent et le montrent …
    J’aime cette idée d’une Belgique sans eux … Ce qui ne nous empêchera pas d’échanger le commerce de toujours …par souci de « fraternité » !

    • Fds fait un constat d’intellectuel .
      Bert Van de Wever est un populiste : il surfe sur l’air du temps…En plus, il est « de smilste man … », volontaire (il perd 60 Kg, par sa propre volonté et l’aide d’ « adjuvants », comme Lance Armstrong et d’autres ont gagné le tour de France) : c’est un populiste qui, en plus a recyclé/lessivé le Vlaams Belang, l’extrême droite flamande….Rappelons-nous, le succès de P. Janssens à Anvers, il y a 6 ans : il avait fait barrage « aux fascistes » du VB….Les Flamands sont flamands : il ont une identité culturelle, comme tous les régionalistes : la culture c’est la langue mais aussi une histoire (même racontée), la façon de vivre et de penser en général (ce qu’anciennement on appelait les « mœurs » cf Levi Strauss)…Ils ont un poids démographique donc démocratique évident : il y a plus de flamands que de Francophones…
      Qui sont les francophones ? Les Bruxellois et les Wallons : quelle communauté partagent-ils ? Outre la langue, il n’y a rien : ni histoire commune (ni réelle, ni « racontée ») : quelle culture, quels mœurs partagent-ils ?…
      Le vrai problème entre Wallon et Flamand : c’est Bruxelles

  8. « fixer notre prix pour continuer tout en préparant les bagages ».
    Voilà effectivement la seule voie raisonnable, mais dites-moi quel parti en Wallonie sera enfin capable d’exprimer des propositions concrètes (et constructives) sur cet avenir forcément difficile qui bouleversera tant d’habitudes confortables et de certitudes rassurantes ?

  9. je questionnais mon père (99 ans) sur le possible « partage » de la Belgique…il m’a répondu avec un petit sourire :  » Il faudra quelques dizaines d’années de tractations sordides pour répartir les richesses communes ( arts, monuments, immeubles, terres…) et ça laissera toujours un ressentiment profond d’avoir échoué dans l’esprit de notre devise : L’Union fait la Force…

  10. A 82 ans je ne crois pas, moi non plus au « partage »de la Belgique. Oui, qui va payer ???? et la dette publique en plus? Elle ne sera pas remboursée en 2014, quel que soit le gouvernement. Ne jouons pas les Cassandre….., car depuis que je suis consciente je n’ai entendu que ce mot :séparation ». Je suis née à Anvers en 1930 d’un père Wallon, fonctionnaire nommé en Flandre (maitrisant donc bien le néerlandais) et d’une mère anversoise. Alors quid?

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