Pourquoi le libéralisme n’est pas mort…

… et pourquoi c’est une bonne nouvelle

Paru dans Le Soir, 3 novembre 2008

La crise financière que nous traversons a offert l’occasion inespérée de ressortir quelques chiffons rouges. Que d’envolées n’avons-nous pas entendues sur la fin du capitalisme et la chute du modèle libéral ! Et pourtant, expliquer que la crise des subprimes et le sauvetage express du système bancaire par l’Etat démontrent la faillite du modèle libéral a autant de sens que si on avait proclamé, en 1989, que la chute du Mur de Berlin allait entraîner la fin des systèmes de protection sociale du monde entier. Erreur de perspective : cette crise met en avant la plus-value du libéralisme, et consacre que le progrès viable réside dans l’amélioration et la régulation du système au bénéfice du plus grand nombre, et non dans une chimérique table rase ou quelque inconsistante alternative dont il semble nécessaire à d’aucuns, hélas, d’entretenir l’illusion électorale.

Le capitalisme est une doctrine fondée sur la propriété privée visant à utiliser les moyens de production pour créer de la richesse par l’échange. Le libéralisme n’est pas le capitalisme ; c’est la philosophie des droits de l’homme et de la liberté individuelle, dont le versant économique se traduit par la liberté d’entreprendre et la régulation de la force du capitalisme. Le capitalisme est une puissance comparable à l’énergie nucléaire : elle est aussi formidable dans les progrès qu’elle permet que ravageuse dans les désastres qu’elle provoque lorsqu’elle reste incontrôlée. Il reste que, pour paraphraser Churchill sur la démocratie, il s’agit aujourd’hui du pire des systèmes excepté tous les autres. Aucun autre modèle ne permet de développer des sociétés, d’en augmenter le bien-être général et l’espérance de vie de ses habitants, tout en restant indissociable de la démocratie politique et d’un standard conséquent de cohésion sociale. Le fait que ce système ne profite pas encore à tous, qu’il est perfectible et qu’il doive être d’urgence régulé pour développer, entre autres, les pays du Sud, ne suffit pas à l’invalider en soi. 

La démocratie libérale est-elle pour autant la recette magique, l’idéologie ultime devant être dogmatiquement révérée ? Certes non. Pour une raison simple, dure mais qu’il faut intégrer : il n’y a sans doute pas de modèle idéal. De Platon à Marx, l’utopie de créer un ordre politique qui corresponde par magie – ou par caution transcendante – à un ordre cohérent et systémique a toujours dirigé les hommes. La religion a longtemps fourni le support adéquat à cette fin, avant d’être relayée par le Parti ou la Nation. Comme les hommes sont régis par la volonté de tout expérimenter et qu’ils n’apprennent que de leurs erreurs et des crises, ils ont usé jusqu’à la corde ces différents modèles collectifs du bonheur et salut imposés. Toutes ces instances échouent car chaque modèle basé sur le collectif au détriment de l’individu finit par se faire renverser (par  guerre, soulèvement ou usure) par un autre modèle porté par de nouveaux « détenteurs de vérité ». Ce balancier est sans fin : seules les instances qui offrent une place réelle à la liberté individuelle et à l’épanouissement des citoyens, comme les Etats-nations démocratiques actuels, peuvent se développer durablement.

Et si ces nations, ces sociétés survivent, c’est précisément parce qu’elles sont… libérales. Le libéralisme survit depuis son émergence parce qu’il a intégré cette disposition humaine de progrès par essais et erreurs, et non par croyance systémique a priori. Ayant renoncé au paradis terrestre et au Grand Soir, le libéralisme est en un mot une idéologie authentiquement profane, qui refuse les hypostases pour n’accepter qu’un seul dogme : la liberté comme préalable et moteur vers l’égalité. Il n’exige pas la domination d’un modèle sur les hommes et possède en lui, au contraire, ses anticorps. Pour paraphraser Nietzsche, ce qui ne le tue pas le rend plus fort. Ce sera encore le cas à l’issue de cette crise. 

Par sa capacité à intégrer les échecs et les évolutions des hommes, le libéralisme rompt ainsi avec la tentation perpétuelle de la table rase. Le progrès devient réellement possible parce que – sans jeu de mots – capitalisable. Le libéralisme ne lutte pas contre le progrès social ; il le rend possible en créant la richesse susceptible d’une part d’améliorer le niveau de vie de tous, et d’autre part d’être redistribuée aux moins nantis en assurant la cohésion sociale. Le libéralisme n’est pas détruit par les crises qui le traversent : lorsque l’Etat sauve et régule le système bancaire, source du crédit aux PME et aux particuliers, c’est le pouvoir de créer et d’entreprendre qui se trouve préservé – le libéralisme aime les investisseurs et les travailleurs, non les spéculateurs.

Dans sa vision dialectique de Marx, le capitalisme constituait l’étape nécessaire de l’avènement du communisme, car son échec provoquerait l’avènement du Parti, l’appropriation des moyens de production par le prolétariat et la suppression de la propriété privée. Sans doute un historien du 21ème constatera-t-il que c’est l’inverse qui s’est produit : c’est l’échec empirique du socialisme réel qui a ouvert la voie à la victoire définitive de la démocratie libérale. Celle-ci apparaît aujourd’hui plus que jamais comme la dernière alternative crédible pour l’organisation de la vie en communauté : la jouissance des libertés, en ce compris celle de créer et d’entreprendre, comme base de la société.

Certes, la route sera encore longue avant d’avoir complètement régulé la puissance du capitalisme ; c’est précisément à cela que sert le libéralisme. Nous ne sommes que des hommes et devrons améliorer le système par les leçons de nos erreurs, et non par le recours à un Dieu, un prophète ou un idéologue de génie. Contre l’argent fou, contre les crises financières, contre les parachutes dorés, contre toutes les autres anomalies devant être corrigées, c’est le libéralisme par la régulation qu’il propose, et non un coup de chiffon incantatoire, qui œuvrera à une société plus juste. 

 



Catégories :Articles & humeurs

Tags:, , ,

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

%d blogueurs aiment cette page :