Billet radio pour la Première (RTBF), 31 août 2010
Avez-vous remarqué l’emploi de la métaphore du jeu de cartes pour illustrer tout processus de négociation impliquant un rapport de forces ? C’est en effet l’image idéale : on est plusieurs autour d’une table, on a tous des jetons ou quelque chose à gagner ou perdre, on accepte tous un certain nombre de règles du jeu par le simple fait qu’on prenne place à table. Bluff, coups de forces, double mise, abandon… tout y est. Ainsi, par exemple, cela fait deux mois qu’on assiste, autour du préformateur, à une belle partie de poker menteur, dans la plus pure tradition belge : on affiche une mise, on voit si l’autre suit, on tente de lui faire abaisser son jeu sans montrer le sien. Puéril, mais inévitable : sans ces rituels d’accouplement préalables, pas de compromis qui puisse ensuite être vendu aux électorats des uns et des autres. Il faut pouvoir dire qu’on a tout donné et fait de son mieux, et qu’on puisse sortir de table avec un accord suffisamment tordu et illisible pour que plus personne ne puisse objectivement dire qu’il a perdu parce qu’on y trouve de tout. Ca, c’est classique. Et c’est quand tout va bien.
Mais lorsque la partie dérape, comme c’est le cas aujourd’hui, le poker se transforme en « valet noir », ou « valet puant »… Ici, le seul but devient de ne pas avoir dans son jeu la carte maudite, en l’occurrence celle qui porte la responsabilité de l’échec, et de la refiler aux autres si on l’a. C’est ce à quoi nous assistons depuis hier. Alors, vous me direz, quelle importance de savoir qui est responsable, si tout foire ? C’est qu’il faut déjà penser à la prochaine partie… et si vous récoltez le valet noir, vous risquez de perdre votre place à la table.
Car le problème dans ce genre de négociations, c’est que chacun s’imagine qu’il est indispensable à la partie, alors qu’en fait, la seule chose qui subsistera de manière sûre, au-delà des mélodrames, des coups de gueule, des crisettes, c’est qu’il y aura toujours une table… En effet, que voulez-vous faire d’autre ? Que ce soit pour construire ou divorcer il faudra toujours discuter… Le reste – à savoir les étapes d’information, d’exploration, de préformation, le roi qu’on utilise pour temporiser comme le bouton « pause » d’un magnétoscope -, tout cela reste de l’habillage.
Et maintenant ? Eh bien, peut-être est-il temps de trouver d’autres partenaires ou d’autres règles, après le poker, le valet noir, il reste le rami, le bridge, le baccara, le blackjack, la crapette, bataille… Les variantes à explorer sont nombreuses – en se souvenant toutefois que le seul jeu où ne risque rien c’est le solitaire. La seule manière de gagner indéfiniment c’est de jouer tout seul. Il est peut-être temps que certains joueurs, autour de la table, daignent s’en souvenir.
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