L’appel de la meute

Billet radio pour la Première (RTBF), 8 mai 2012 – Ecoutez le podcast

Et pendant ce temps-là, la Belgique continue son petit marathon de faits divers sordides avec une régularité qui devient préoccupante. Ainsi donc, la semaine dernière, c’est le jeune Ihsane, 32 ans, qui était battu à mort par quatre jeunes hommes de son âge, semble-t-il au seul motif qu’il était homosexuel. Si cette prévention était retenue, il s’agirait bel et bien du premier meurtre homophobe dans notre pays, dont la législation punit plus sévèrement, rappelons-le, les délits et crimes motivés par la haine envers certains groupes.

Que se passe-t-il dans la tête de ceux qui commettent de tels faits ? Quelle est la nature de leur haine ? Que fuient-ils eux-mêmes en frappant le jeune gay tombé entre leurs mains ? Le législateur ne répond pas à cette question : il se contente de dire que lorsqu’un crime est commis avec la haine d’un groupe comme mobile, le crime est plus grave, parce qu’il attaque quelque part la société elle-même. Or la question est fondamentale si nous voulons tenter de comprendre et non simplement de condamner : quel est le degré de conscience atteint par celui qui agit par pure haine ? En général il est nappé dans les préjugés, dans l’ignorance entretenue de tout ce qui lui permettrait d’avoir de l’empathie pour ce qui ne lui ressemble pas. Et c’est là-dedans qu’il va puiser courageusement de quoi se rassurer sur sa propre identité : je casse du pédé, donc je suis sûr de ne pas en être un, de ne pas pouvoir même être soupçonné d’en être un. Je frappe, donc je suis. Le degré zéro de l’affirmation identitaire, brutal mais banal, commun à l’humain depuis la cour de récré jusqu’aux guerres de tranchée.

Et comme dans la cour de récré, d’ailleurs, ce qui permet souvent le passage à l’acte, c’est la dynamique de groupe. On ne compte plus les infractions commises « en bande », depuis le vol le plus minable au génocide de masse en passant par les viols en tournante, et on ne se lasse pas d’observer combien décidemment le groupe désinhibe et déresponsabilise : on se crée en meute une nouvelle réalité, où les normes s’estompent sous les encouragements mutuels, où l’éthique de chacun cède face à l’exhortation de l’autre. Tout le monde le frappe, pourquoi pas moi ? Tout le monde en profite, pourquoi pas moi ? Tout le monde tue, pourquoi pas moi ?

La banalité du mal si bien décrite par Hannah Arendt, elle réside là : dans l’appel de la meute dont nous pouvons chacun, en puissance, être la victime mais aussi, selon les circonstances, le relais. L’appel de la meute, présent chez les jeunes coqs terreurs de leurs quartiers ou de leurs écoles ; l’appel de la meute présent chez les petits chefs d’armée ou d’usine ; l’appel de la meute qui permet tout mais n’excusera jamais rien.

Les agresseurs d’Ihsane s’en rendront bientôt compte : c’est en groupe qu’on agit, qu’on frappe ou qu’on tue, comme si la meute protégeait, comme si le crime commis en commun scellait un pacte… mais devant ses juges, on est toujours seul.



Catégories :Chroniques Radio

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2 réponses

  1. Comme d’habitude, ton analyse est percutante et juste. Tu me fais penser en parlant d’absence de toute empathie chez les auteurs de cet acte abominable aux analyses psychologiques qui ont été faites chez les criminels nazis lors du procès de Nuremberg. Chez quasi tous ceux qui ont été condamnés à mort, les tests ont permis de relever une absence complète d’empathie, ce qui justifie une nécessité de condamnation plus lourde parce que ces criminels placés dans les mêmes circonstances récidiveront. Le premier devoir de la société est de protéger ses membres, et c’est une excellente chose que la condamnation soit plus sévère dans un cas pareil.

  2. Tu verras que, comme d’hab, on disséquera celui qui a frappé de celui qui a encouragé de celui qui a regardé…avec des peines différentes…alors que toute la « meute » doit être mise au même niveau ! Nous manquons de cette éducation fondamentale qui, bien ciblée, pourrait remettre notre humanité sur des rails équilibrés voire allocentriques ! Au moins deux générations seraient à guider pour qu’on puisse enfin dire : « Je suis parce que Nous sommes »

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