Billet radio pour la Première (RTBF), 5 mars 2013 – Ecoutez le podcast
Profitons, Arnaud, de cette période de vacance de siège pontifical pour revenir sereinement sur ce retrait de Benoît XVI. Ce n’est pas tous les jours, loin s’en faut, qu’un pape adopte la position démissionnaire. D’abord, cela a donné à Benoît XVI l’occasion de faire ses adieux. Certains diront que le souverain pontife s’est offert ce vieux fantasme humain consistant à assister vivant à ses propres funérailles et y entendre le récital de louanges qu’on réserve d’ordinaire aux défunts. Il n’est pas évident, dès lors, que le geste soit si humble dans toutes ses dimensions.
Cet acte de renonciation est pourtant un évènement extraordinaire, par sa rareté comme par ses conséquences. Le pape est le successeur de Saint Pierre, Évêque de Rome et plus haute autorité morale de plus d’un milliard de fidèles. Le caractère sacré de sa charge est supposé incarner face au monde la force d’une foi apte à soulever des montagnes. « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise », a dit le Christ à l’apôtre concerné dans l’Evangile selon Mathieu, d’après le jeu de mots le plus célèbre du Nouveau Testament. Or l’Eglise, ce n’est pas qu’un mot. Ce n’est pas l’édifice en pierre, comme on le pense parfois. Ce n’est pas non plus la seule institution de la Curie. L’Eglise c’est la communauté de l’ensemble des croyants unis par la foi. Eglise dont le pape, construction humaine sur une interprétation des paroles du Christ, est supposé incarner l’inépuisable continuité, à l’image des mandataires de Dieu qu’étaient les monarques de droit divin avec lesquels, faut-il le rappeler, l’institution papale a mené une guerre d’influence et de comparaison durant tout le Moyen Age.
Et c’est au regard de cette continuité que cette démission pose question. Si l’Esprit saint qui est supposé inspirer les cardinaux lors des conclaves faisait correctement son travail, ne devrait-il pas faire élire des porteurs de flambeaux aptes à offrir le reste de leur vie à leur charge ? Car comment une telle charge, aussi forte par l’alliance qu’elle consacre avec Dieu, pourrait-elle se réduire à un mandat, là où les croyants – comme les autres – attendent des hauts dignitaires religieux des raisons de croire à la transcendance de ce qui les inspire ? Pour le dire simplement, comme le philosophe Raphaël Enthoven, imagine-t-on le Christ jeter sa croix en chemin parce que trop lourde ? Non. Le calvaire de Jean-Paul II c’était la sublimation de la charge, le choix de ne pas renoncer, fut-ce au prix d’une souffrance exhibée digne de la « passion du Christ ». Mais cela incarnait au moins, vis-à-vis des croyants comme des hérétiques, le symbole d’une foi qui soulève des montages, qui étreint le doute. La démission d’un pape n’a pas de sens profond parce que le dogme, lui, n’est pas réversible et qu’une Eglise n’est pas faite pour être moderne – ou alors elle doit le devenir complètement, et chacun sait que ce n’est pas au programme. Un pape qui démissionne parce que son corps ou son esprit ne suit plus, c’est l’ouverture d’une brèche irréductible : non seulement la chair et l’esprit sont faibles, mais en plus elles sont plus faibles que ce que la foi peut permettre d’endurer.
La brèche ouverte est à moyen et à long terme potentiellement destructrice pour le corpus de l’Eglise, et augure à tout le moins d’un sérieux débat en son sein. Car si on accepte aujourd’hui l’idée que la déficience du corps subsume celle de l’esprit en la personne du pape qui se découvre trop âgé et faible pour porter sa charge, comment ne pas interroger demain, dès lors, la faillibilité du corps du prêtre ou du catholique par rapport à l’appel de la chair ? Pourquoi renoncer face aux affres du corps serait-il licite dans le cas de l’âge sans l’être dans le cas du mariage ? N’est-ce pas l’ensemble de la morale religieuse en matière de mœurs qui est ébranlée si le souverain pontife lui-même assume que le corps est une machine qui nous échappe ?
Ce n’est pas une ouverture de l’Eglise à la modernité à laquelle nous assistons, mais à sa confrontation à la réalité. De là viendra s’aiguiser, certainement, le débat entre conservateurs et progressistes en son sein, avec au cœur cette question lancinante : est-ce à une Eglise de devenir moderne et en phase avec les mœurs ? Ne doit-elle pas être au contraire camper ce qui est et reste intangible ? Et peut-elle raisonnablement offrir des inflexions de perméabilité au monde qui l’entoure sans se retrouver absorbée par celui-ci et offrir le sentiment de perdre son âme ? On peut critiquer légitimement chaque religion. Mais la vouloir moderne au point de la vouloir en phase absolue avec le temps, n’est-ce pas lui demander d’être ce qu’elle n’est pas et lui refuser de tirer une conclusion déroutante pour toute la liturgie, à savoir le renonciation à incarner un message universel ?
Cette démission, Arnaud, nous l’appellerons brèche. Et par cette brèche s’engouffreront demain le doute et, peut-être, la crise.
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C’est vraiment tout le bien que je souhaite aux religions, une brèche qui s’ouvre et qu’elles y plongent !
j’adore ce moment singulier où le philosophe devient « prophète »…! voilà l’aboutissement de la raison : celui de nous projeter vers nos questionnement existentiels avec la ferme intention d’y trouver des réponses, fussent-elles déconcertantes, déroutantes, imprévisibles.
François,
Votre texte –lu (et je sais les inconvénients/avantages du « lu »et de l’ « ’écouté » ou seulement « entendu »par rapport à l’écrit… L’écoute ne retient souvent que les prémices et la chute), mais votre intervention est écrite …
Je ne dois pas vous rappeler la précision des termes : Benoit XVI n’a pas « démissionné », il a « renoncé », selon le Droit Canon et le sens commun, la nuance est importante…Ce n’est pas une « capitulation en rase campagne », ni un acte d’orgueil ou d’humilité (vous savez comme moi que l’orgueil et l’humilité, en tant que posture sont très proches !), mais la reconnaissance de l’inadéquation entre ses capacités physiques et mentales par rapport à sa responsabilité dans l’ l’Eglise aujourd’hui : il faut savoir « se retirer » à temps (N’y voyez aucune autre connotation !).
Pour le reste, vous faites des raccourcis saisissants : l’Eglise, les Chrétiens, hier ou aujourd’hui, ici ou ailleurs: ce n’est pas une réalité immuable et monolithique. La Foi, ce n’est pas la morale…mais l’Eglise en tant qu’institution est à la fois victime de son image, de son histoire et des écarts par rapport à un message tellement exigeant (= les Evangiles), quelle ne peut être que critiquée…
Alors, si la solution, (quelle solution ?) c’est la brèche, le doute :en tant que chrétien, je l’assume et je n’oblige personne à l’assumer…Je me répète, je suis aussi un libre penseur
Prétendre que l’Église ne saurait être perméable au monde sans perdre sont âme c’est nier deux milles ans d’histoire. D’autre part, les consciences évoluent et les moeurs suivent. Or s’il est une chose de commune à tous les grands réformateurs, maîtres ou avatars, c’est qu’ils s’adressaient d’abord et avant tout aux hommes de leur temps, c’est-à-dire à la conscience collective du moment. Ce sont les institutions qui ont voulu figer leurs messages aux travers une infinité de dogmes et d’interdits.