Bruxelles, Rebelle

Billet radio pour la Première (RTBF), 21 mai 2013 

Another VLLJean Quatremer est devenu un bruxellois comme un autre : un tantinet hâbleur, un rien de mauvaise foi, mais exigeant et lucide. Son papier « Bruxelles, pas belle » en est la preuve.

Il comporte certes quelques erreurs et exagérations (le journaliste Himad Messoudi, RTBF, lui a par exemple fait remarquer à bon droit que la petite ceinture n’est pas la tranchée meurtrière pour automobilistes qu’il décrit). Mais sur le fond, je l’ai lu en tentant à chaque ligne de pouvoir lui donner tort et n’y suis pas parvenu. Oui, Bruxelles connaît de gros problèmes d’urbanisme, de mobilité, de propreté. La cause principale en est bien belge : la capitale a longtemps été gérée comme une ville de bureaux par le gouvernement central, ce qui a permis de nombreux crimes urbanistiques fait de destructions d’immeubles majestueux, de créations de viaducs et d’autoroutes plongeant dans la ville au détriment manifeste de la qualité de vie de ses habitants. Il est amusant de noter qu’on argumentait alors que c’était le prix à payer pour devenir une capitale internationale, alors que c’est au nom de ce même statut que la critique est aujourd’hui formulée.

Convenons que les choses ont cessé d’empirer depuis qu’en 1989, Bruxelles est devenue une Région à part entière. Elle n’est pourtant pas aidée, institutionnellement parlant. Revendiquée et détestée à la fois, son financement reste l’objet d’une prise d’otage communautaire perpétuelle. Le parlement bruxellois est une assemblée pléthorique par nécessité d’y faire siéger un nombre irréductible de députés flamands, élus avec très peu de voix. Ses membres en sont généralement des municipalistes, qui ont toujours un œil sur l’intérêt de leur propre commune. Les communes sont une mosaïque d’intérêts divergents aux frontières parfois peu cohérentes.

Bruxelles comme Région, c’est vrai, ne se gère elle-même que depuis peu de temps. C’est une circonstance atténuante importante, mais sans plus. Sur le fond, il manque toujours un projet de ville novateur, et le jeune âge n’est plus une excuse. En ce sens, c’est moins l’intervention de M. Quatremer qui est intéressante que la manière dont elle a été reçue. Il n’est pas le premier à parler de la Région de cette manière ; des journaux… belges s’y sont efforcés avant lui. Mais – oh surprise !-, c’est parce qu’un journaliste français l’écrit pour ses lecteurs que le constat devient une réalité, dure et implacable. Curieux tout de même. Tant qu’il n’y a que les Belges qui savent que Bruxelles est une ville sale, on s’en fiche ; mais dès que c’est dit à Paris, c’est inacceptable. Comme si le manque de confiance en nous, facette méprisable de notre humilité nationale, nous amenait à ne considérer l’existence de quelque chose que lorsqu’il nous vient de dehors. Il en est pour la critique comme pour presque tout en Belgique : ne prend de valeur réelle et forte que ce qui est reconnu à l’étranger. C’est vrai pour nos chanteurs, acteurs, dessinateurs, stylistes… ? Eh bien, visiblement, c’est vrai aussi pour les constats les moins agréables. Ce que nous nous répétons nous-mêmes sans l’entendre, il suffit qu’un autre nous le dise pour qu’il prenne de la valeur et suscite d’outrées réactions. C’est très révélateur d’un caractère « petit esprit » complexé inutilement, qui tend à nous rendre autistes tant envers la fierté légitime que la critique justifiée. La Une « Paris, pourri » de la DH en est la plus triste – et prévisible – manifestation.

Car il y a pourtant un bon côté à cette humilité nationale. Bruxelles est en doute permanent, elle est dans le flux, et le fait qu’elle soit en ébullition constante la rend attractive, passionnante, vivante. Contrairement à d’autres capitales pétrifiées dans leur lustre et leur orgueil, elle vit. Il s’y passe chaque jour des dizaines d’événements. Elle attire à elle des hommes et des femmes venant de partout dans le pays, de partout dans le monde, qui ne l’avaient pas choisie comme destination de cœur et dont beaucoup choisissent pourtant d’y rester. Cela est dû à la qualité de vie qu’on y trouve malgré tout, et dont on ne peut profiter qu’en y vivant et non le temps d’un séjour. C’est la source d’un malentendu fréquent : les visiteurs ont souvent du mal à comprendre pourquoi tant de sédentaires se trouvent bien dans cette ville, dont les voyageurs d’un jour ne retiendront que les dépotoirs de la Gare du Midi. Si certains de ses habitants sont durs avec elle, c’est parce qu’ils voudraient qu’elle soit aussi belle à l’extérieur qu’elle l’est à l’intérieur. Si l’état de Bruxelles fait débat alors que celui de villes bien plus moches ne le fait pas, c’est parce que ses habitants savent qu’elle mérite mieux ; parce qu’ils perçoivent cette distance entre la ville telle qu’ils la vivent et telle qu’elle est perçue par le nouvel arrivant. Et qu’ils s’y résignent de moins en moins.

M. Quatremer invite seulement Bruxelles à se mettre à la hauteur du rang qui est le sien, afin que le bien-être inhérent à la ville (qu’il n’a pas remis en question) soit mieux qu’un cœur en sucre qu’on ne découvre par surprise qu’après s’être heurté aux trottoirs délabrés. Flinguer le messager, ça défoule peut-être cinq minutes, mais ça ne sert qu’à astiquer ses propres œillères.



Catégories :Chroniques Radio

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3 réponses

  1. A propos de « crimes urbanistiques ».

    Sur le blog « Vos Photos » de Libération, un bel exemple de Bruxellisation « Intégration et désintégration » : http://bit.ly/qYR5It

  2. Bruxelles sera belle, donnons lui un peu de temps et beaucoup d’argent …

  3. Le bon sens même cet article ! J’habite depuis 44 ans à Bruxelles ( venant de Paris, après mon Ardèche natale) j’ai connu Bruxelles sous les pioches des « Bruxellisateurs ». L’horreur! Et pourtant, il faisait bon y vivre. Puis la calamité a pris fin lorsque Bruxelles est devenue une région gérée par des élus locaux. Evidemment, elle n’est pas mûre pour le Prix Nobel d’urbanisme, mais ça s’est tout de même amélioré et il fait toujours bon y vivre. Je n’ai d’ailleurs jamais envisagé de retourner  » chez moi » , sinon pour les vacances, la famille et les amis. Sans doute, j’aimerais que Bruxelles soit moins crade mais ça ne ses fera pas un jour. Puisse l’article de Libé faire oeuvre utile ! Si je devais raconter Paris au début de années 60, dans le genre crade, c’était pas mal non plus ! Beaucoup d’étrangers, de passage, le disaient. C’était désagréable de se faire traiter de salopiots, mais finalement, ça a fini par porter ses fruits. Quoique, je le répète, je n’ai nullement envie de retourner y vivre !

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