Tout a été dit sur ce fameux Pacte des Migrations (ONU), ce texte des Nations-Unies en 23 objectifs et dont l’ambition est de contribuer à faire des migrations un processus légal, encadré et sûr. Il ne vise pas à ouvrir toutes grandes les frontières sans contrôle ; il vise à tenter de mieux gérer les migrations ensemble. Le pacte aborde certes les droits des migrants, mais aussi la lutte contre les causes de la migration, la lutte contre la traite et le trafic d’êtres humains, ou encore l’implication des diasporas dans la gestion des migrations.
La Belgique vit un Vaudeville politique puisque le Premier Ministre a affirmé devant le monde entier en septembre dernier que la Belgique allait signer ce pacte et que la N-VA ne veut plus le signer. Elle ne s’y était jamais formellement opposé durant le processus, même si elle avait exprimé ses doutes. Mais voilà : une série de pays comme l’Autriche, l’Italie, la Hongrie se retirent du processus, ce qui rend la position du parti nationaliste difficile auprès de son propre électorat, en particulier après des élections communales ayant remis l’extrême droite en selle. A la Chambre, des auditions ont été organisées pour déterminer si ce Pacte est contraignant ou non. C’est un faux débat, car on part du postulat somme toute un peu étrange que soit quelque chose serait juridiquement contraignant, soit il n’existerait pas. Mais toute la réalité n’est pas dans le droit, toute la réalité n’est pas dans la loi. Le droit n’est qu’une fenêtre de vision du monde. La politique est une autre fenêtre de vision du monde. Le pacte ne crée pas de nouveaux droits subjectifs, mais il enclenche une dynamique en tissant entre Etats des liens sur la migration. On ne pourrait pas exclure qu’un jour un juge puisse y puiser des arguments pour illustrer une position, mais c’est un texte politique bien avant d’être un texte juridique. Et c’est bien là tout le problème.
Il y a un vrai combat idéologique entre deux visions du monde, et à présent qu’elles sont forcées à être exprimées au grand jour elles apparaissent inconciliables.
D’une part une vision multilatéraliste consistant à poser qu’on ne s’en sortira jamais seuls sur la migration, que nécessairement on doit coopérer entre pays, que les causes de migration sont multiples, qu’il pourrait exister un intérêt commun du monde à parvenir à les gérer, et que le win-win est possible. C’est la position de la grande majorité du spectre politique belge.
D’autre part une vision de repli et de nationalisme assumée, qui consiste à penser que toute collaboration internationale mondiale sur les migrations est impossible, sauf à se faire sur le dos des pays de destination, et est donc naïve. Selon cette vision, les pays d’Europe n’ont pas de prise sur les causes des migrations, et peuvent donc légitimement s’en protéger. Une telle vision accepte logiquement que les push-backs sont légitimes et considère le modèle dit australien consistant à ne plus accepter aucune migration autre que celle que nous organisons à distance, même en matière d’asile, comme étant le seul possible. Dans cette vision, il n’y a pas de win-win possible.
La vraie différence entre ces deux visions paraît simple a priori : dans un cas on croit qu’un intérêt commun du monde et des hommes est possible ; dans l’autre ce qui prime c’est l’intérêt de son peuple, de sa nation. On pense aussi, dans la vision nationaliste, que le rapport de forces constitue non seulement le moyen, mais la fin de toute politique. Et on comprend pourquoi les visions nationalistes ont le vent en poupe de par le monde: quand vous regardez l’état du monde tel qu’il est, en effet, ce sont en effet les rapports de force qui priment. Il y a des guerres, des révolutions, des massacres, des désordres, et on peut comprendre que les populations ne croient plus au multilatéral, et qu’on privilégie le repli sur soi, et donc qu’on ait envie de voter pour ceux qui promettent une vision du monde simple et autoritaire.
Or la vraie vision du monde qu’il y a derrière ce nationalisme a quelque chose d’inquiétant : car à pousser le raisonnement, cela consiste à assumer qu’une partie du monde est privilégiée, que c’est comme ça, et qu’il faut conserver ces rapports de forces hérités du hasard et de l’arbitraire. Pour rappel : nous ne méritons pas davantage notre paix et notre bien-être relatifs propres aux pays du Nord que ceux qui naissent au Sud ne méritent leurs guerres et leur misère. La vision nationaliste de la migration implique d’accepter l’injustice du monde qui fait des uns des privilégiés et des autres des démunis, d’accepter qu’elle ne doit pas changer, et que le droit des individus de ne pas se satisfaire de son sort est inférieur aux droit des nations plus avantagées par le sort de conserver leurs privilèges. De ce point de vue, la vision nationaliste est l’exact opposé des autres grandes familles de pensée : le socialisme, la démocratie chrétienne, l’écologie… et le libéralisme.
Or si ces visions sont si opposées, comment expliquer qu’elles ne s’affrontent que maintenant ?
Telle est la bonne question. Parce qu’en vérité, cela fait quatre ans que la politique migratoire est largement influencée par le prisme nationaliste, qui considère que la migration est une question où il faut montrer sa force, son identité et où l’intérêt des nations doit primer sur ceux des individus.
Quand on explique que si on accueille trop favorablement les demandeurs d’asile ou les migrants de transit, on provoque un appel d’air, c’est une telle vision nationaliste qui prime.
Quand on refuse obstinément d’octroyer quelques visas humanitaires à deux familles syriennes d’Alep qui ont l’outrecuidance de les demander depuis le Liban, mais qu’on organise en revanche le sauvetage de centaines de chrétiens syriens réfugiés sur invitation, c’est le modèle australien qui s’applique avant la lettre et c’est la victoire de l’approche nationaliste.
Quand on arrête et renvoie au pays des Soudanais en collaborant avec le Soudan sans vérifier suffisamment s’ils courent le risque d’être maltraités, c’est la victoire de la vision nationaliste.
Quand on accepte de ré-enfermer des familles et des enfants pour des raisons migratoires, alors que la Belgique était parvenue à en finir avec cette pratique, c’est la victoire de la vision nationaliste.
Et enfin, pour prendre un problème toujours pendant et urgent, quand on démantèle constamment des places d’accueil pour endiguer l’appel d’air et qu’on assume, en pleine hausse des demandes, limiter le nombre d’entrées par jour de demandeurs d’asile à l’Office des étrangers non par manque de place, mais pour montrer sa fermeté, on est dans la victoire de la vision nationaliste.
Il est vrai, par contre, en effet, on est à des années-lumière de cette vision nationaliste quand on doit signer un pacte des migrations qui constitue la dernière chance donnée au multilatéralisme, parce que toute la philosophie du pacte est de considérer comme normal qu’une série d’individus dans le monde ne se contentent pas de leur triste sort, et d’inviter à trouver une solution globale plutôt que de conserver la logique du chacun pour soi. On ne voit pas comment, en effet, et c’est légitime de leur point de vue, un parti nationaliste pourrait faire de ce pacte son engagement propre.
Evidemment, c’est bien de se révolter et de se battre sur l’adoption d’un texte juridiquement non-contraignant mais politiquement engageant. C’est sincèrement remarquable d’en faire une question de principe. Mais on ne peut guère s’empêcher de se dire qu’il est visiblement plus facile de bomber le torse sur une question de texte international que sur des dossiers concernant directement des êtres humains, et avouons qu’il y a là quelque chose d’un peu triste. Si c’était pour tomber sur une question migratoire, reconnaissons qu’il y avait bien d’autres occasions d’affirmer la primauté des droits et de la coopération sur le chacun pour soi.
La présente crise, finalement, concerne moins les migrants eux-mêmes que le fait qu’un parti ait défié l’autorité d’un chef de gouvernement sur un dossier. L’histoire retiendra que le pacte a valu une crise et une rupture, contrairement aux Soudanais expulsés, aux familles ré-enfermées ou aux demandeurs d’asile délibérément laissés à la rue.
Catégories :Articles & humeurs
en dehors de toute considération sur le dossier actuel, et en résonant un moment en fonction de l’étatisme européen (à tout le moins), cette structure étatique ne permet aucune réflexion des réalités régionales. Si d’aucuns – pour moi à forte raison – n’acceptent pas les positions dites flamandes, qu’est-ce qui les retient au sein d’un état qui n’a lui jamais été une nation ? conscient que
Le problème c’est que le multilatéralisme institutionnel aujourd’hui ne sert plus que les intérêts des dominants contre ceux des peuples.
Je sais prq je l’aime celui là ! Il écrit tellement bien ce que je pense.
biz
Laurence
________________________________
Une petite suite amusante à ce sujet intitulée « Instants Nord-Sud »
http://vanrinsg.hautetfort.com/archive/2018/11/10/instants-nord-sud.html