Un tabou serait-il en train de vaciller ? Les affaires de pédophilie hantent l’Eglise catholique romaine depuis longtemps, non seulement à cause des actes eux-mêmes, mais aussi du silence qui les a entourés. L’accumulation de ces affaires ne peut empêcher de pousser à la remise en question, par l’Eglise, de son modus vivendi sur le sujet : le célibat des prêtres, mais surtout – parlons vrai – leur abstinence. Or, c’est une question qui mérite de ne pas être abordée simplement en réaction contre les affaires, mais aussi dans ses enjeux spirituels.
La question du célibat des prêtres a été posée au IVe siècle, au Concile d’Elvire. A l’époque, sa justification est d’ordre spirituel : il s’agit de se délier autant que faire se peut de la matière, du corps pour se consacrer entièrement à Dieu. Le sexe est vu comme un obstacle à la pureté. Mais c’est au Moyen Age que la pratique s’imposera, et que le célibat sera imposé de manière systématique – ce qui permettait en outre à l’Eglise d’écarter tout risque de captation de ses biens par la progéniture d’un prêtre.
La question intéressante à se poser, en fait, est celle de la légitimité actuelle de ce postulat qui sépare plaisir du corps et élévation spirituelle. On le sait aujourd’hui : scinder le corps et l’émotion, cela n’a rien d’évident. Ce sont nos rencontres, nos états amoureux successifs qui forgent aussi nos comportements sexuels. La question sous-jacente est celle de la maturité. Maturité sexuelle et maturité affective ne sont pas étanches, elles se conditionnent. Or, pour mûrir, il faut un processus, il faut faire des rencontres, il faut se cogner au réel. A force de séparer sexe et matière d’une part, sentiments et émotions d’autre part, on court le risque de laisser les pulsions, qui étrangement trouvent toujours leur chemin, en roue libre sans garde-fous – à moins de se vouloir être un saint au prix d’un autre péché, d’orgueil celui-là. C’est pour cela que le célibat des prêtres passe aujourd’hui pour le reliquat d’un autre temps : nous nous concevons pleinement, et à la fois, comme êtres d’esprit et de chair. Ce à quoi nous assistons, après deux millénaires d’occultation, est donc le retour du Corps.
La question devient, dès lors, de se demander dans quelle mesure l’abstinence volontaire et définitive n’engendre pas, chez quelques-uns, une immaturité affective qui ouvre la brèche à des pulsions non cadrées par les émotions. S’abstenir de toucher n’est peut-être pas, finalement, la meilleure manière d’apprendre à aimer. Non seulement une réflexion courageuse de l’Eglise sur l’irréductible animalité des êtres humains, en ce compris ses serviteurs, éviterait sans doute de futures affaires engendrées par des pulsions sans exutoires ; mais de plus les représentants de l’Eglise pourraient-ils même, en partageant les basses tribulations de leurs ouailles, redevenir les meilleurs bergers d’une foi dont l’état de déliquescence, quoiqu’on en dise, n’est pas beaucoup plus enviable que celui des mœurs.
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