Billet radio pour la Première (RTBF), 11 mai 2010
Ainsi, la crise de l’euro serait une crise de confiance. Certains esprits chagrins – surtout non-européens comme par hasard – rappellent qu’ils n’ont jamais cru à la monnaie unique.
Il est vrai qu’avec un peu de recul, et sans être prix Nobel d’économie, on peut se dire qu’unifier plusieurs monnaies pour empêcher les variations de taux de change, avec une banque centrale mais sans gouvernance économique, avec un mécanisme de suivi et de sanctions des déficits et de la dette qui se base essentiellement sur la bonne foi des Etats membres, ça laisse songeur. Mais là est tout le paradoxe et l’intérêt de la construction européenne, qui se bâtit depuis le début sur la méthode des petits pas. En résumé, comme il est impossible de tout unifier à la fois, on coordonne ce qui est le plus facile à accorder, en pariant qu’on met ainsi en place un engrenage vertueux visant, qu’on le veuille ou non, à poursuivre dans la voie de l’intégration puisqu’il n’y a pas de retour en arrière. Et ça marche ! Si en 1999, à la naissance de l’euro, vous étiez venu dire aux États membres qu’il faut créer une surveillance européenne de confection des budgets nationaux, ils vous auraient ri au nez. Aujourd’hui, à tout le moins, on ne rigole plus.
Alors, bien sûr, il y a une faille technique monstrueuse dans le fait d’avoir une monnaie unique sans gouvernance économique. Mais qui sait si certains fondateurs n’en avaient pas conscience. Qui sait s’ils ne pariaient pas, en fait, sur le haut pouvoir d’intégration et symbolique de cette monnaie, se disant qu’on créait là un incitant devant forcer ensuite la création d’une gouvernance et d’une harmonisation budgétaire, fiscale, sociale après la première crise venue, puisque le retour en arrière est scandé comme impossible… Songez donc, depuis trois semaines, à toutes ces réformes et fonds de garanties mises sur les fonds baptismaux, autant de choses impossibles à espérer en temps normal, et qu’il semble indispensable d’exiger aujourd’hui pour sauver l’euro.
En d’autres termes, l’Europe est une fantastique machine servant à construire les murs au pied desquels les États membres se trouveront eux-mêmes confrontés plus tard. Cette étrange mécanique est permise par le développement d’institutions pléthoriques dont l’existence et la nature opaque se justifient, précisément, par le fait qu’elles permettent d’éluder les abandons de souveraineté rendus nécessaires par la construction européenne ; les États n’abandonnent pas leurs prérogatives à un super État européen mais à un agglomérat administratif dans lequel chacun est partie, et dont la simple complexité suffit à faire autorité et dissuade chacun de reprendre ses billes, car reprendre ses billes est à présent devenu plus laborieux et douloureux que de résoudre les problèmes – ne riez pas, il y a plein de couples qui arrivent à durer comme ça.
Bref, s’il devait exister une devise européenne – au sens de phrase, non au sens de monnaie – ce pourrait être : « On ne sait pas où on va, mais on y va ensemble ».
Allez ! Présenté comme ça, il y a déjà moins de soucis à se faire.
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Votre billet est, sans doute involontairement, une très efficace dénonciation du caractère absurde et antidémocratique de cet objet « étrange » qu’est l’UE. Mais il n’est pas seulement étrange, il est dangereux et, à terme, une telle usine à gaz est destinée à s’effondrer d’elle-même.