Billet radio pour la Première (RTBF), 23 novembre 2010 – Ecoutez le podcast
Comme à chaque crise communautaire qui dure, les projecteurs se déplacent pour un court moment sur la Communauté germanophone. Isolée de l’agitation entre francophones et Flamands, lovée dans une figure de sagesse construite pour l’essentiel par les médias, cette Communauté se rappelle à nous à quelques rares occasions, par exemple le 21 juillet ou à Noël, lorsque le roi conclut son discours royal avec quelques mots d’allemand, qui, à force, nous sont devenus familiers.
Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de familial dans cette relation. La Communauté germanophone, au fond, c’est le cousin éloigné. Mais c’est surtout le troisième terme. C’est ce qui nous empêche d’être à deux communautés. Parce être deux, être en face-à-face, c’est dangereux. Dans un face-à-face la relation est directe, les possibilités de conflit sont donc plus grandes. A contrario, dès qu’on est trois ou quatre, comme en Suisse, cela devient plus laborieux, plus imbriqué, plus compliqué à séparer aussi – demandez aux jeunes couples avec enfant. C’est pour cela que Bart De Wever se donne un mal de chien pour essayer d’imposer sa vision de deux communautés devant tout gérer, même Bruxelles, qui pour la NVA n’est pas une vraie région. Il sait qu’une Belgique à deux est plus facile à faire imploser qu’une Belgique à trois ou quatre.
Donc la Communauté germanophone, c’est ce qui permet de rendre les choses moins faciles à dénouer, si vous voulez. Un rôle de figure neutre, de temps mort, pas très loin finalement du rôle symbolique dévolu… au roi. Faut-il d’ailleurs croire à un hasard complet lorsqu’on constate que la fête du roi et la fête de la Communauté germanophone tombent le même jour ?
Cette position est pourtant purement symbolique. Au-delà de cette figure de tiers, il faut le reconnaître, les germanophones ne partagent pas les problèmes des deux autres communautés parce qu’ils ne sont pas en position de le faire. Ce sont huit communes comptant ensemble 74.000 habitants, c’est-à-dire par exemple moins que la population de Namur ou de Mons ; ils sont prospères, plus que le reste de la Wallonie, ce qui les rend moins inquiets pour leur avenir ; ils parlent allemand mais ils sont pratiquement tous bilingues, et surtout, contrairement aux Flamands ils ne ressentent pas que leur langue maternelle est menacée – il faut dire qu’ils ont l’Allemagne et ses 80 millions d’habitants dans leur dos, ce qui doit aider. Bref, on sent bien que s’ils font de temps à autre des revendications, les germanophones, ce n’est pas par réel besoin mais parce qu’ils ont bien compris que pour exister, dans ce pays, il faut revendiquer quelque chose, toujours, tout le temps – sinon vous vous faites bouffer par l’appétit des autres. Regardez l’État fédéral, pour lequel plus personne ne se bat, comme si, rationnellement, dans une réforme de l’État on était obligé de transférer des compétences toujours dans le même sens. Personne ne revendique quelque chose pour l’État fédéral, si ce n’est de ne pas le dépecer trop vite. Ce qui est peut-être, d’ailleurs, un peu triste.
Bref, la Communauté germanophone, c’est un poids symbolique dans les deux sens du terme : symbolique parce que porteur de sens comme troisième terme nécessaire, même si un brin artificiel, et symbolique parce que néanmoins négligeable sur le plan réel. Ils peuvent se permettre d’apparaître comme les sages de l’histoire parce qu’ils n’ont pas de tâche d’huile à endiguer autour de leur capitale, pas de sécurité sociale à maintenir, bref pas de peur sclérosée de l’avenir qui les empêche d’entreprendre, et pas de vent nationaliste dans le dos qui les empêche de réfléchir. Alors, oui, même si tout cela n’est pas de leur faute, c’est vrai,… on les envie.
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