Capsule pour 2030

Billet radio pour la Première (RTBF), 14 décembre 2010 – Ecoutez le podcast

Depuis septembre, chaque jour, la RTBF (sur la Trois) diffuse le JT d’il y a exactement vingt ans – vous pouvez aussi le trouver sur le site web de la chaîne. C’est passionnant à regarder parce que c’est une véritable machine à remonter le temps.

Il y a d’abord de la nostalgie anecdotique à revoir le rassurant Jacques Bredael nous commenter l’actualité sur la neige en décembre, dont on s’étonne à chaque fois en oubliant qu’on s’en était étonné l’année dernière, avec ces images de voitures patinant sur les boulevards ou d’enfants jouant dans la neige, sortes de madeleines de Proust du reportage imposé au jeune journaliste de terrain à chaque hiver rigoureux.

Mais il y a aussi ces sujets qui, avec le recul, fascinent vraiment, surtout sur l’international : les tensions ethniques au Rwanda, où sont envoyés des casques bleus belges ; l’émergence d’un certain Milosevic en Yougoslavie, avec un commentaire avisé sur les craintes d’éclatement du pays au vu des résultats électoraux nationalistes dans les différentes républiques composant la fédération, ou encore sur la famine qui menace les grandes villes de l’URSS, pays qui aura disparu à peine huit mois plus tard, enterré par la fin de la guerre froide…

L’exercice est fascinant parce que vingt ans, c’est trop peu pour changer d’époque, mais c’est assez pour changer de génération. Et si le ton a peu changé, on ne peut s’empêcher d’être frappé par le fait que, en germe, on puisse retrouver facilement les racines de l’actualité d’aujourd’hui dans celle d’hier. Avec parfois les mêmes problèmes, aussi, quand ils ne sont pas résolus, comme ce reportage sur une crise de l’accueil des demandeurs d’asile et le constat qu’il manque de la place et que la procédure est trop longue. On peut ainsi trouver un certain engouement à suivre l’actualité d’il y a vingt ans, jour après jour – en ce moment, en décembre 90, ne manquez pas la montée en crescendo de la crise du Golfe -, avec ce regard de nostalgie des films de notre enfance, qu’on aime voir précisément parce qu’on en connaît la fin et qu’on aime repérer les réminiscences de notre actualité ; cela nous aide à mieux cerner une actualité plus angoissante car nous menant vers l’inconnu.

Cela nous rappelle aussi que tout ce que nous disons et diffusons pourra un jour être revu et retenu contre nous, mon cher Arnaud. Le temps est un juge impitoyable et les médias audiovisuels, comme aucun autre avant eux, figent des instantanés, des repères avec lesquels la comparaison pourrait être amère. Qui sait si demain, ce ne seront pas d’autres qui s’étonneront de notre candeur ou de notre manque de prévoyance; peut-être jettera-t-on un regard sévère sur ce vortex institutionnel belge dont nous fêtons les six mois avec un fatalisme déconcertant au regard d’un monde dont les repères politiques et financiers se délitent ; peut-être se navrera-t-on d’avoir érigé en star médiatique un homme politique dont l’assurance et le culot bousculent toutes les règles, qui fait tourner toute la scène autour de sa personne, et dont même les détracteurs n’osent pas se passer malgré qu’il vous assène droit dans les yeux qu’il veut la mort de votre pays – lentement et avec soins palliatifs, certes, mais sûrement.

Alors pourquoi ne pas nous donner rendez-vous dans vingt ans, mon cher Arnaud, dans le 13h de la Première du 14 décembre 2030 – je vous préviens tout de suite, c’est un samedi – pour réécouter ensemble cette chronique ? Vous serez alors sans doute administrateur général de la RTBF, ou de la RT Wallonie-Bruxelles, ou de France 3 Bruxelles-Picardie, et moi, avec un peu de chance, je serai à la Légion étrangère ; mais comme nous sommes tous deux de vigoureux trentenaires il est hautement probable que nous serons toujours en train de cotiser pour nos aînés. Pour la sécu de quelle région, de quel pays, ça, seuls les auditeurs qui écoutent en podcast ce billet depuis l’an 2030 le savent.

Mais il n’y a pas de vrai risque à spéculer, mon cher Arnaud et pas de regret à avoir non plus : pour paraphraser Marguerite Yourcenar, de toute façon, après tout, avoir tort c’est seulement avoir raison trop tôt.

 



Catégories :Chroniques Radio

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