Billet radio pour la Première (RTBF), 21 décembre 2010 – Ecoutez le podcast
Nous sommes le 21 décembre, c’est le solstice d’hiver. Nous pouvons enfin proclamer notre entrée dans l’hiver météorologique – autrement dit on sait maintenant pourquoi il fait froid et pourquoi il neige. La deuxième bonne nouvelle c’est qu’à partir de demain, les jours se rallongent, alors que cela fait six mois exactement que l’obscurité gagne de plus en plus de terrain sur la lumière…
Six mois… Six mois, ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, souvenez-nous, nous avons voté pratiquement au solstice d’été. Nous avions un résultat clair et lumineux. Nous avions des partis gagnants responsables et souriants. Les journées étaient remplies de promesses comme des grappes de raisin gorgées de soleil. Et puis, et puis… les jours se sont obscurcis. Imperceptiblement d’abord, le doute a surgi, tel un froncement de sourcil sur une paupière alerte. Puis vers la fin de l’été ce fut carrément l’ombre de 2007, l’ombre d’une orange bleue stérile qui, peu à peu et inexorablement, a étendu son empreinte… jusqu’à aboutir, aujourd’hui, dans la froideur de décembre, à des nuits longues comme des jours sans pain, tellement longues qu’on ne négocie même plus à sept, où on se contente d’entretiens bilatéraux par conciliateur interposé… Curieuse impression de « drôle de guerre », de table de cuisine à la manière d’un film d’Audiard, où l’on s’insulte sans quitter le jeu car chez ces gens-là, monsieur, on ne s’en va pas : c’est le premier qui part qui a perdu.
Mais le plus fort, c’est que cette fois-ci tout le monde s’en fiche. Alors qu’il y a trois ans, souvenez-vous, chaque JT ouvrait sur le compteur de la crise, alors que des drapeaux tricolores fleurissaient d’angoisse aux fenêtres (surtout à Bruxelles et dans le Brabant, en fait…), alors qu’une liégeoise anonyme parvenait à organiser une marche unitaire, cette fois-ci règne dans la population comme une sombre apathie. Et pourtant, c’est sûr, nous allons non seulement battre, mais exploser franchement le record de la plus longue crise sans gouvernement. Mais c’est comme si ce n’était pas grave. Pourquoi ? Peut-être parce qu’on ne se sent plus en danger. Peut-être parce que, à force de briser le tabou du séparatisme, on a révélé la complexité infinie de ce scénario et donc son improbabilité. Ou peut-être simplement les gens sont-ils à présent habitués. Ils ont vu que le monde ne s’arrêtait pas de tourner, ils ont vu que le pouvoir du politique était limité, ils ont vu qu’il ne s’agissait que d’une guerre de nerfs et de symboles, et ils se disent qu’ils ont autre chose à faire. Nous semblons tous attendre que ça passe, parce que nous avons déjà connu cela.
En fait, tout est là, dans l’habitude : pourquoi supportons-nous la neige, le verglas, les routes qui glissent, les bus qui patinent, le froid qui mord sans émigrer en Andalousie ? Parce que nous savons que ça passera. Nous associons le concept de crise et d’inconfort avec le concept d’éphémère, c’est même la condition pour que ce soit supportable. Mais le parallèle avec la nature risque, sur la longueur, de ne plus tenir ; même rigoureux, nous savons que cet hiver aura une fin. Or malheureusement, il est à craindre que la politique ne suive plus le rythme de la nature. Si le retour de la lumière n’amène pas la fin de la crise, le décalage entre les lois de la nature et les lois des hommes se refera plus criant, plus insupportable. Et sans doute, alors, le citoyen, qui n’aura plus à déneiger son allée et à faire ses courses de noël, retrouvera-t-il enfin avec le printemps sa capacité d’exaspération et de colère. Pour le meilleur et pour le pire.
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