Billet radio pour la Première (RTBF), 20 septembre 2011 – Ecoutez le podcast
Connaissez-vous l’expression « Le diable marie sa fille », Marie-Laure ? Je l’ai entendue ce week-end dans les rues de Bruxelles joyeusement envahies par les cyclistes, rollers et autres piétons, de la bouche d’une amie un peu plus âgée que moi. Cela désigne ces moments un peu singuliers où la pluie tombe drue et soudaine alors que le soleil brille. Moi, je ne connaissais pas. C’est joliment dit. Et cela convient assez à notre situation politique complètement en demi-teinte, tels ces moments de flottement où on n’a pas encore le recul pour calculer si ce qu’on a gagné compense ce qu’on a perdu.
Il y a un accord sur BHV, et le sentiment qui prévaut n’est nullement la joie mais… le soulagement. Soulagement flamand d’avoir arraché une issue à un dossier symbolique qui, paraît-il, tétanisait le Nord du pays depuis si longtemps ; désormais, la tâche d’huile francophone va s’arrêter. Les armées de fransquillons impérialistes, qui viennent habiter exprès en périphérie pour annihiler le néerlandais de la surface de la terre, et non pour des motifs aussi ridicules que, par exemple, le prix des maisons à Bruxelles, renonceront sûrement à l’invasion, à présent qu’ils savent qu’ils ne pourront plus voter pour des listes bruxelloises aux législatives… Ouf ! Soulagement aussi côté francophone d’avoir gagné du temps, d’avoir apaisé suffisamment la faim d’en face pour faire vivre ce pays un peu plus longtemps et de pouvoir, après avoir passé l’écueil du symbole, éprouver le bonheur de se lancer dans le Tourmalet sonnant et trébuchant de la loi de financement.
Mais une fois que vous avez payé pour qu’on vous enlève l’aiguille qu’on vous a préalablement plantée dans la main, et que vous êtes en effet soulagé, la question revient au fur et à mesure que la douleur s’estompe : qu’est-ce que j’ai gagné ? Est-ce ma tête ou ma capacité de résistance qui a décidé ? Et si tout ce que j’ai gagné c’est d’avoir encore quelques années la mention « Belgique » sur un coin de carte d’identité, sans autre garantie plus solide qu’un crédit à la consommation MediaMarkt, ne faut-il pas se demander si négocier du temps, ce n’est pas par définition se faire avoir ? C’est la position du FDF, qui larguera le MR dimanche prochain en s’immolant comme martyr francophone, estimant que tous ont cédé par lassitude devant l’inacceptable. Soyons honnêtes : seuls ceux qui sont autour de la table et connaissent le détail des accords peuvent réellement dire si le prix en valait la peine. Et ce n’est qu’à l’issue de l’ensemble de la négociation communautaire que cette analyse est réalisable. Le temps sera le meilleur des juges – ou le plus impitoyable. Nous devrions assez vite nous rendre compte si l’ensemble de la négociation se trouvera équilibrée. La question n’est peut-être pas « être ou ne pas être radical », comme dirait Benoît Lutgen, mais bien : quand faut-il être radical, et quand devient-il nécessaire – voire noble – de céder.
Dans l’intervalle, le zen avec lequel la N-VA accueille l’accord n’aide pas, il est vrai, à considérer les choses sans méfiance. Ceux qui se demandent si nous ne sommes pas en train d’essayer d’apaiser avec quelques biscuits une machine dont la faim grandit en mangeant méritent mieux que de se faire traiter d’hystériques. Il y a des signes qui ne rassurent pas ; ce dimanche, alors que Bruxelles organisait une journée sans voitures, Linkebeek organisait une journée sans cerveaux, où les revendications d’indépendance (opinion certes démocratique) flirtaient ouvertement avec les slogans xénophobes invitant une fois de plus les francophones, rats ou non, à quitter la terre flamande. Bien sûr, 3.000 personnes, ce n’est rien sur 6.000.000 de néerlandophones. Mais ce qui interpelle ce ne sont pas les cris de haine de quelques extrémistes ; c’est le silence assourdissant de la classe politique. A part quelques responsables locaux enfermés dans leurs maisons communales, presque personne, ni au Nord ni au Sud, ne relève plus ces outrances.
Il en est ainsi au royaume de Belgique dont les dispositions antidiscriminations figurent parmi les plus rigoureuses du monde : on peut s’en prendre au francophone de Flandre dans des termes qu’on n’oserait plus asséner au premier Juif ou arabe venu. Parce que le contentieux linguistique est tellement sensible qu’il échappe à tout, en ce compris aux normes que nous jugeons si fondamentales… hors de nos frontières ou dans la lecture confortable de nos livres d’histoire.
Bref, Marie-Laure. Le diable a marié sa fille. Vivement la nuit de noces.
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Beau papier.

Effectivement la manifestation a donné lieu à un débordement d’injures que n’importe quel anti raciste, n’importe quel humaniste dénoncerait avec force. Le Voorpost le long de la maison communale avançaient en reprenant en cœur le très joli cri de « ZY – KLON – B », j’imagine à destination des francophones.
Quelqu’un a dit quelque chose ?
Quelqu’un a protesté ?
Ah non, rien.
Triste pays pourri de l’intérieur…
« Et ce n’est qu’à l’issue de l’ensemble de la négociation communautaire que cette analyse est réalisable. Le temps sera le meilleur des juges – ou le plus impitoyable. Nous devrions assez vite nous rendre compte si l’ensemble de la négociation se trouvera équilibrée. »
Il serait plus juste de dire qu’il faudra attendre que les compensations obtenues par les uns et les autres soient votées et appliquées. On a déjà connu trop de négociations en Belgique où les acquits flamands étaient directement votés et appliqués et pour lesquels on attend encore ce que les Wallons et Francophones croyaient avoir obtenu.
L’expression que je connais est plus complète : « le diable marie sa fille et bat sa femme » => soleil car mariage, pluie car violance … je ne connais pas l’expression équivalente en flamand … suis-je pour autant un mauvais francophone de flandre?
« duiveltjeskermis » en Néerlandais.
Comme l’écrivait, il y a déjà un moment sur son blog Jean Quatremer, il y a en Belgique un estompement de la norme en ce qui concerne les critiques & les attaques faites aux francophones.
Rappelez-vous cette interdiction de parler français dans un jardin pour enfants à Liedekerke (si je me souviens bien) ou encore ses inscriptions francophones sur des monuments aux morts effacées par certaines communes flamandes, sans compter toutes les manifestations à caractère xénophobe…
La liste est longue…
Je ne connaissais pas ce blog. Il faut partie maintenant de mon agrégateur de flux. Je ne raterai rien. A tout bientôt.
Face à des réactions euphoriques de la plupart de nos élus, acteurs médiatiques et concitoyens lobotomisés, ce genre de billet m’aide à garder un tout petit bout d’espoir.
Bravo et merci!