Billet radio pour la Première (RTBF), 6 décembre 2011 – Ecoutez le podcast
Croyez-vous au destin, Marie-Laure ? Eh bien moi, ça me fait quand même un petit quelque chose d’être avec vous, ici, ce midi. Pensez donc : après 540 jours c’est là maintenant, aujourd’hui même, que cette maudite crise choisit de se terminer symboliquement avec la prestation de serment du nouveau gouvernement. Pour moi qui sur la même période ai consacré à cette sorcière près d’une quinzaine de billets radio, quelle émotion! – et quelle perte de fonds de commerce.
Plus sérieusement : c’est qu’on avait fini par s’y habituer, à cette absence de gouvernement. On s’était fait à l’idée que Yves Leterme soit le Premier Ministre démissionnaire éternel d’un royaume perdu dans le vortex de ses divisions. Et voilà que contre toute attente, après d’énièmes soubresauts, on sort enfin de la crise. Ça fait presque un peu peur, comme un saut dans l’inconnu. Un gouvernement, Marie-Laure ! Un gouvernement nommé à la Saint-Nicolas ! Un gouvernement qui choisit d’avoir 13 ministres à table. Un gouvernement qui n’a peur de rien.
Et puis, il y a les destins individuels. Songez à Elio Di Rupo et Didier Reynders, par exemple. Songez à ces deux hommes qui ont bâti une grande partie de leur crédibilité sur leur opposition l’un à l’autre – les archives télévisuelles débordent de leurs joutes électriques. Qu’il est émouvant de se dire qu’ils seront obligés de se farcir ensemble tous les conseils européens, qu’à présent ils ne se lâcheront plus. Que de belles images de complicité cela nous promet. Ah oui, vraiment : quel farceur, ce destin.
Alors, puisque c’est la fête, Marie-Laure, puisque les télévisions, entre deux hagiographies d’Elio et quelques publicités de Noël, débordent de reportages montrant les Belges dans les rues heureux et soulagés, puisque c’est bientôt les fêtes, période où les bons sentiments se doivent de gaver nos têtes et nos estomacs, c’est promis : je vais me retenir de gâcher la fête. Je vais m’empêcher de vous rappeler qu’il manque vraisemblablement deux milliards dans le budget 2012. Je vais m’abstenir de souligner que ce gouvernement, qui met 20 heures à pondre une liste de 19 attributions, doit réaliser des réformes colossales dans un pays où la simple prononciation du mot austérité envoie 50.000 personnes dans la rue. Je vais me retenir, de toutes mes forces, de vous rappeler que la réforme de l’État ne comporte que des mesures centrifuges, qui vont dans un seul sens, celui de la séparation larvée, sans construire aucun pont entre les communautés, comme l’aurait fait par exemple une circonscription fédérale. Je vais m’empêcher de vous dire qu’on ne contre pas la N-VA en concédant une version soft de son programme, mais en construisant une démocratie entremêlée, dans laquelle les deux communautés n’auraient plus jamais peur l’une de l’autre.
Non, Marie-Laure, je ne vous dirai rien de tout cela. Je m’en vais remiser trompettes et tambours jusqu’à Noël, et me rangerai sagement derrière tous les porteurs de bonne parole répliquant, à chaque sourcil levé par le sceptique, combien la situation était critique, combien on est passés près de la fin du pays, combien on n’avait pas le choix, et que les râleurs feraient mieux de fermer leur boîte à camembert.
Car derrière cet argument massue, sage et beau comme un puits sans fond, se cache le soulagement de celui qui est parvenu à arrêter le marteau qui lui frappait sur la tête, et qui est juste content que ça s’arrête. Et à celui-là, c’est vrai, on ne peut pas retirer ce petit plaisir. Ce serait trop cruel. Alors, Marie-Laure, ne gâchons pas notre joie. Car c’est la fête aujourd’hui.
Catégories :Chroniques Radio
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