Billet radio pour la Première (RTBF), 20 décembre 2011 – Ecoutez le podcast
C’est la dernière de l’année, alors, Marie-Laure, je vais révéler un petit secret de radio : quand on entend nos voix, là, vers 13h25, il arrive exceptionnellement qu’en réalité on ne soit pas là et qu’on aie enregistré la chronique un peu plus tôt. Par exemple la semaine dernière, mardi 13 décembre, à la même heure, je n’étais pas dans ce studio. J’étais dans le centre de Liège. Je remettais les pieds dans la cité ardente pour la première fois depuis des années à l’invitation d’un collectif de réflexion sur la question de la prostitution, fort sympathique d’ailleurs, et dont je vous parlerai une autre fois.
Je ne vais pas faire le malin, rassurez-vous. A part des policiers et des hélicoptères, je n’ai rien vu. Par contre j’ai ressenti une petite partie de l’angoisse et de l’émotion. Angoisse lorsqu’on est venu nous dire que personne ne pouvait sortir de notre bâtiment, parce qu’il y a eu des explosions sur la place St Lambert à quelques centaines de mètres, et qu’on recherchait encore un ou deux tireurs. Émotion lorsque très vite chacun passe ou reçoit des coups de fil et sms de ses proches, ceux qui savaient que nous étions à Liège, nous demandant si tout va bien, soulagés juste qu’on décroche. Nous avons repris le cours de notre conférence, dont nous ne pouvions de toute façon pas sortir. Mais personne, j’en suis sûr, ne pouvait entièrement se dégager l’esprit.
Et au retour, en quittant cette ville meurtrie et assiégée, en croisant les sirènes et lumières bleues qui s’agitaient, au son de l’autoradio répétant en boucle les mêmes informations factuelles, les mêmes témoignages, comme pour se convaincre de ne pas rêver, derrière le choc une conviction naît lentement : il va être très dur, cette fois, de donner du sens. C’est un peu notre boulot, pourtant, aux chroniqueurs, journalistes et autres philosophes mondains, parfois un brin donneurs de leçons, de trouver du sens aux événements, de proposer des directions, de suggérer une vision des coulisses, de retourner un fait pour en voir d’autres coutures. Las ! Il n’y a malheureusement aucun sens à offrir à une folie meurtrière. Il est impossible de dire aux parents et proches des victimes qu’ils sont morts pour quelque chose. Ils sont morts pour rien. Ils ne sont même pas morts pour une idéologie. Juste par le bras d’un homme qui a décidé qu’il ne mourrait pas seul ce jour-là. Alors, c’est vrai. Le réflexe le plus digne est de se taire, parce qu’on a l’impression que chaque mot sera de trop. Comme Thomas Gunzig et son joker. Comme Paul Hermant et son hommage aux silences. Comme Marcel Sel et son billet sobre, calibré.
Puis survient évidemment la vague d’émotion globalisée, interconnectée. Le silence qui suit Mozart est encore de Mozart, disait Guitry. Le silence qui suit une tragédie ne lui appartient plus : il y a toujours quelqu’un pour s’en emparer. Le « peuple des forums », comme dirait la blogueuse Anne Löwenthal, se réveille et se déchaîne. Et on lui répond. Oui, on s’en fiche qu’il soit ou non arabe. On s’en fiche que ses armes viennent ou non de la FN. Et même – désolé – à la rigueur peu importe qu’il ait été ou non sous contrôle judiciaire. Car tous ces éléments, toutes ces balles de ping-pong qu’on se relance pour tenter de donner du sens à ce qui n’en aura jamais, pour tenter de comprendre ce qui est incompréhensible, pour veiller à prévenir ce qui est imprévisible, tout cela est vain. La vérité, l’atroce et insupportable vérité, c’est qu’un homme assez cinglé et désespéré pour commettre un carnage trouvera toujours les moyens de le commettre. Même à coups de fourchette. Bien sûr, nous pouvons renforcer la sécurité par toute une série de mesures. Mais aucune garantie absolue ne pourra jamais être troquée contre la plus sourde de nos angoisses : l’homme reste un loup pour l’homme. Et parfois, des innocents, des agneaux se font happer.
La seule bonne nouvelle, c’est de voir qu’une société se réveille. Que le chagrin se partage. Que la dignité, au bout du compte, a jusqu’ici prévalu bien plus qu’on n’aurait pu le craindre. Que les citoyens, ce ne sont pas seulement des électeurs ou des contribuables : c’est aussi une foule sentimentale qui a besoin de communier sur ses émotions, de canaliser la tristesse et la colère. Et qu’au moment même où une agence de notation nous dégomme de deux rangs, et qu’on constate que ce genre de tribulations n’a subitement plus aucune importance, on se dit, paradoxalement : « Tiens ? Je me rappelle à quoi ça peut encore servir, un pays ».
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Catégories :Chroniques Radio
Parler du silence, c’est assez surréaliste je trouve. 🙂
Faire silence n’est pas se taire.
La douleur des victimes est indicible, la commenter est indécent, en parler inutile.
Le bruit médiatique ne fait que renforcer les détonations des coups de feu et des grenades qui eux ont « fait mal » : au désordre des évènements n’ajoutons pas la cacophonie des bruits que l’émotion-légitime-provoque.
Le respect de la souffrance des autres se concrétise plus dans la présence silencieuse que dans la logorrhée, fusse-t-elle marquée des meilleurs sentiments : éloignez les micros trottoir, taisons-nous et ne parlons qu’en réponse à une demande de ceux qui souffrent…souvent en silence.
Tout ou plutôt rien ne s’explique parfaitement
Aujourd’hui et tout de suite, il nous faut chercher des « explications », des « responsables » : nous avons oublié que nous sommes des hommes, notre société est humaine et, quelle que soient les avancées de la la science et de la culture, il y aura toujours des actes »inhumains ».
Ce n’est pas du fatalisme, mais la réflexion nait rarement de l’émotion ou pour le moins elle ne peut se développer qu’en la dépassant.
B.HALLEUX