Crises de foi

Billet radio pour la Première (RTBF), 10 janvier 2012 – Ecoutez le podcast

En République tchèque, lors d’un recensement, à la question de la religion, environ 15.700 personnes se sont déclarées « Jedi », du nom de cet ordre chevalier mystique issu de l’univers de la Guerre des Etoiles. Il existe d’autres exemples de pseudo-religions émergeant en réaction à ce qui est vécu comme absurde dans les cultes traditionnels. L’exemple le plus connu est l’église du Pastafarisme, créée aux USA en réaction aux revendications créationnistes. Le pastafarisme postule que l’univers a été créé par un monstre en forme de spaghetti géant. Arguant que ce scénario n’est scientifiquement pas moins improbable que la création divine, ses militants demandent que cette théorie soit également enseignée aux côté de l’évolution et de la création.

Au-delà de l’anecdote, on voit bien que ces mouvements ne sont évidemment pas des religions dans le sens classique du terme, mais des mouvements d’opinion véhiculant des valeurs. Or, au fond, toute religion n’a-t-elle pas commencé comme cela ? Après tout, entre le groupuscule évangélique réuni autour de Jésus de Nazareth et la multinationale ecclésiastique bâtie par Paul et Pierre, n’y a-t-il pas une transformation que les apôtres eux-mêmes n’avaient peut-être pas imaginée ? En fait, la demande en matière religieuse évolue, et donc l’offre suit.

Les hommes modernes ont toujours besoin de spiritualité, mais ils sont de plus en plus nombreux à rejeter les cultes organisés, hiérarchisés, tout ce qui contrevient trop violemment à leur liberté de penser. Le dogme a bien du mal à résister au double assaut de la science et de la liberté individuelle. La spiritualité se cherche donc des voies d’adhésion et de rassemblement moins métaphysiques, plus pratiques. Et comme l’offre et la demande évoluent en permanence, il est possible que la signification même de ce qu’est une religion soit en train de changer.

Une religion, étymologiquement, ça sert à relier. Mais nous passons insensiblement de la reliance vers Dieu à la reliance entre hommes. Ou de la prépondérance du vertical à celle de l’horizontal. Nous cherchons à ancrer la transcendance sur Terre vers des valeurs de vivre-ensemble. Et cela c’est intéressant. Car si les religions deviennent des questions de valeurs davantage que de croyances métaphysiques, comme elles tentent d’en incarner le discours, cela augmente à terme le poids de la liberté. Au fond, l’immense majorité des chrétiens sont chrétiens parce leurs parents le sont. Idem pour les musulmans, Juifs, hindouistes ou autres témoins de Jéhovah. Rationnellement, il n’y a rien de plus absurde : ce n’est parce que votre père croit que Dieu a créé l’homme ou que la terre est plate que cela est vrai. Et pourtant le premier mode d’adhésion au religieux c’est l’éducation et la culture, et non la réflexion propre et individuelle.

Cela montre bien que la plus-value première du religieux est la transmission de valeurs, de rites et de traditions véhiculant une idée de continuité, bien plus qu’une adhésion à la manière dont a été créé le monde et de ce qui nous attend après la mort, terrains battus en brèche par la modernité. Tel est le problème de la modernité d’ailleurs : même lorsqu’elle aura scientifiquement expliqué toutes les lois de l’univers, éliminé tout hasard, anéanti tout espoir de survie, elle s’avérera encore incapable d’offrir du sens et de la reliance à des hommes dont le premier souci n’est, après tout, pas de comprendre la vie mais simplement de vivre ensemble.

Cela entraîne comme conséquence que la discussion métaphysique d’une religion a de moins en moins de sens car, de l’aveu même des croyants, ce n’est plus vraiment ce qui compte : ce qui prend de l’importance ce sont les valeurs c’est-à-dire ce qui nous relie entre nous, et non plus ce qui nous relie aux cieux. Nous perpétuons nous-mêmes de nombreux rites religieux sans adhésion métaphysique. Nous fêtons Noël en famille même si nous sommes hérétiques ou agnostiques. C’est pour cela qu’il devient impossible de rallier rationnellement un croyant à l’athéisme sur base d’arguments scientifiques : le champ de bataille a changé. La plus-value de la religion a irrémédiablement glissé de la prétention métaphysique d’explication du monde à la consolation empathique du manque de sens de la vie. Et comme la modernité a échoué pour le moment à substituer une adhésion stimulante au confort des rites rassemblant les générations autour des événements de la vie ou d’une bonne table, le phénomène religieux a encore de beaux jours devant lui. Que son objet soit un mort-vivant de Judée, des tables de lois perdues ou l’ordre cosmique dirigé par maître Yoda, au fond, cela deviendra un jour du détail ; l’essence réside dans le rassemblement des individus autour de valeurs. Si celles des Jedi conviennent à certains, est-ce dès lors si absurde ? Et surtout, est-ce vraiment grave ?

Alors, ma chère Marie-Laure, bonne année, certes. Mais surtout : que la Force soit avec vous.



Catégories :Chroniques Radio

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2 réponses

  1. Pas sûr que tous les « vrais croyants » partagent cette analyse, mais elle me plaît bien. Bonne année! 🙂

    • François,

      Comme d’habitude, j’ai lu avec intérêt votre dernier billet : crise de foi…Il porte bien son titre, même si cette période est très ambivalente : Noel ( fête « +/-religieuse »..) et Nouvel An constituent un risque pour la(le) foi(e).

      Je ne peux vous suivre dans les circonvolutions de votre raisonnement et de votre argumentaire et des définitions qui les sous-tendent.

      Laissons de coté le Jedi et le Pastafarisme : ce serait faire injure à votre intelligence que de penser que vous les considériez comme des religions : elles sont à ranger dans la catégorie de la caricature, du pastiche, du Canada Dry (qui a l’apparence, la couleur…mais qui n’en est pas). C’est bien moins dangereux que les sectes, quand bien même certaines se revendiquent de l’appellation, du « Label Chrétien », ce qui constitue une circonstance aggravante.

      Comme vous le signalez les fondateurs de la Multinationale « Eglise Catholique » et leurs successeurs n’ont pas tout prévu…Combien d’égarements, de crimes, d’injustices ont été perpétrés sous le « Label » et « au nom du Fondateur » …et souvent la responsabilité se situait au plus haut niveau…Et 20 siècles après : elle existe encore.

      En tant qu’héritier, cela me consterne : quel gâchis quelle trahison, mais si la repentance ne suffit pas, elle est nécessaire… et les tribunaux de l’histoire ne remplacent pas les vies brisées…
      Dois-je renier mon Père ? Parce que ses fils –moi y compris- n’avons pas été à la hauteur ?

      Agissons pour que cela ne se reproduise pas.

      Confucius, Bouddha (= l’éveillé), les philosophes de l’Antiquité peuvent aussi revendiquer une antériorité historique, une influence toujours actuelle.

      Vu sous cet angle particulier : il y a surabondance d’offre, même en regard d’une demande tout aussi importante et constante à travers le temps et l’espace.

      Oui, il y a demande de spiritualité, d’adhésion à un « principe supérieur », à la transcendance : la verticalité et l’horizontalité et la transcendance ne sont pas incompatibles, elles sont notre articulation dans la vie.
      Regardez l’enfant qui se lève (il quitte la position horizontale) il marche (il doit combiner les 2 dimensions), puis il parle, il communique, s’ouvre aux autres, à son environnement, fait l’expérience de son autonomie et pense : il est dans la tridimensionnalité…que de problèmes, que d’inconfort, que de risques, que d’exigences, que de richesses, de découvertes…tout cela dans la troisième dimension

      Et si en plus, il a l chance d’avoir des parents, des « référents » qui lui transmettent des valeurs, des idéaux, des moyens d’être responsables : tant mieux…Ce ne seront pas les « professionnels », la science, la connaissance qui lui feront connaître l’amour, l’amitié, la vérité, l’humilité, le partage etc. avec ou sans majuscule.
      François, j’ai trop de respect pour votre intelligence : je ne vous fais pas procès de « rationalisme », de scientisme, bien qu’un doute puisse m’effleurer.
      Reconnaissez une certaine perplexité, dans mon chef quand vous écrivez « Tel est le problème de la modernité d’ailleurs : même lorsqu’elle aura scientifiquement expliqué toutes les lois de l’univers, éliminé tout hasard, anéanti tout espoir de survie, elle s’avérera encore incapable d’offrir du sens et de la reliance à des hommes dont le premier souci n’est, après tout, pas de comprendre la vie mais simplement de vivre ensemble ».

      Votre conclusion (« cela entraine… ») conforte cette perplexité que j’oserai qualifier de constat de contradiction : même si la science explique tout, il restera toujours de la place pour (d)Dieu (dont chacun trouvera son synonyme, en fonction de son histoire, sa réflexion, sa situation, ses adhésions et ses contradictions, son « image du monde », en un mot le sens de sa vie, par essence unique et historique, au-delà des ses contingences, ses pesanteurs)
      La dimension transcendantale est un Plus., elle ne réduit ni exclut : elle multiplie les espaces…C’est la 3D. C’est une chance …pour autant que les actes commis en son nom n’excluent ni ne réduisent. C’est surtout une exigence et parfois une aide : je déteste les spectateurs, les « je sais tout », les non engagés, les ni-ni, les pharisiens, les donneurs de leçon…
      Enfin, je regrette votre formulation mort-vivant de Judée ( = zombie ou = Jésus physiquement né et mort et ressuscité, cela est, pour moi de l’ordre de la foi – mais toujours vivant à travers la communauté des chrétiens : c’est plus important, aux yeux du monde ) et l’équivalence avec des personnages de fiction (YODA et Jedi)… ajoutons « la Scientologie », les Raeliens, et toutes les autres sectes qui sont répertoriées par les autorités politiques, et celles qui ne le sont pas.:
      Non tout n’est pas égal à tout !
      Ce regret n’est pas le signe d’une bigoterie, mais une demande de respect que ce mort-vivant toujours vivant à travers des hommes et femmes d’aujourd’hui, engagés dans le monde, agissent, nourris de son message, dont je suis avec tous mes manques et mes faiblesses, en plus, par rapport à son exigence…
      J’ose t’écrire : « que Dieu soit avec toi », tout comme tu as écrit à Marie Laure « que la force soit avec toi »…Ce n’est qu’un synonyme..

      Bernard HALLEUX
      (*) J’entends déjà les commentaires…Reggiani
      Le blog de FDS n’est pas un blog satirique…Je ne fais pas de prosélytisme. : J’écris ce que je pense.
      Et n’est pas Desproges qui veut …

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