A mort l’arbitre

Billet radio pour la Première (RTBF), 17 janvier 2012 – Ecoutez le podcast

Vous savez ce que je me disais l’autre jour, Marie-Laure, en voyant la France s’auto-flageller de la perte de son triple A? Je me disais qu’il n’y a moins de trois ans, sans doute, ni vous ni moi ni la plupart des communs mortels qui nous écoutent n’auraient été capables de dire ce que recouvraient ces trois lettres, ni d’ailleurs d’expliquer ce que pouvait bien être une agence de notation. Ce n’est pas seulement le monde qui change, c’est la perception que nous en avons. Sans doute Nicolas Sarkozy aurait-il mieux fait de manger son chapeau le jour où il affirma que le maintien de ce « AAA » couronnerait sa bonne gestion. De quoi rivaliser au panthéon des promesses politiques visionnaires avec des perles du terroir comme la déclaration de Guy Verhofstadt assurant qu’on mesurerait le succès de sa politique à la baisse du Vlaams Belang, ou comme le « Tous bilingues en 2001 » de la ministre de l’enseignement du 20ème siècle Laurette Onkelinx.

Evidemment, lesdites agences sont franchement critiquables. Chantres des prophéties autoréalisatrices, elles interviennent par définition à contretemps : leur avis n’est ni une sanction ni une prévision, mais une indigeste mixture des deux. Ce qu’elles notent ce n’est ni l’état passé d’une économie ni son état à venir, mais la confiance que celle-ci devrait insuffler à des investisseurs. Or la confiance, par essence, est subjective. Les agences de notation ont donc l’insondable prétention de rendre objectivable le subjectif. Comme c’est impossible, au bout du compte elles ne rassurent personne et réussissent seulement à accélérer des mouvements de confiance ou de défiance. Elles n’échappent finalement pas à la subjectivité, et sont le symptôme d’une époque qui a perverti l’économie dans son rapport au temps, où la seule devise qui a cours est la confiance, et où c’est l’avenir qui juge le présent.

Le vrai débat, pourtant, est ailleurs. Quoiqu’on pense de Fitch, Moody’s ou Standard & Poor’s, il est lassant de voir des hommes politiques accuser ces erratiques agences de tous nos maux. Car enfin, pour rappel, ces abominables suppôts du capitalisme ne font jamais qu’évaluer la capacité de remboursement des Etats. Si vous souhaitez échapper à leur pouvoir, c’est simple : il suffit de se désendetter. Voire peut-être simplement d’arrêter de s’endetter. On ne peut pas à la fois se contenter d’une dette flirtant entre 80 et 100% du PIB et se plaindre du thermomètre. Tel est pourtant le dilemme des politiques européens, dans un contexte où la crise de l’euro, en mutualisant de facto les dettes, impose de réaliser un effort de désendettement que personne n’a eu le cran de faire depuis 30 ans, condamnant les générations politiques actuelles à l’austérité et à l’immolation électorale devant l’opinion publique. La colère, la vraie, devrait se porter sur ceux qui depuis des décennies ont trouvé normal de gérer ce pays à coups de déficits successifs et de laisser la dette publique à leurs enfants. Et non sur les seuls arbitres, fussent-ils injustes et peu légitimes.

Et pourtant, quelle inlassable tentation bien classiquement politique que celle de charger l’arbitre. Tenez, en ce fameux vendredi 13, on a même eu droit à une admonestation de la Commission européenne infligée depuis ce studio par un membre du gouvernement qui était encore il y a peu l’un des plus brillants politologues spécialistes de l’Union. Trop de droite, paraît-il, cette Commission, et nous préparant 15 ans de récession… Bien. Mais sans être fan de la Commission européenne, qui niera qu’il s’agit précisément, par la propre volonté des Etats membres, non d’un organe politique, mais bien d’une machine administrative dont la tâche n’est que d’exécuter les traités signés par des gouvernements de toutes les couleurs ? Comment ignorer que, si les Etats ont choisi de mettre en commun une partie de leur souveraineté dans les mains d’une telle usine à gaz, c’est précisément pour se contraindre mutuellement et par ricochet à prendre des mesures inconfortables et impopulaires avec un épouvantail à désigner à l’opinion ? Et comment croire dès lors qu’on puisse céder à cette facilité du bouc émissaire en toute bonne conscience ?

Mais voilà : ce qu’un politologue ou un scientifique ne peut se permettre d’ignorer, un homme politique peut se permettre de faire semblant de l’oublier. Comment dit-on déjà, Marie-Laure ? Ah oui, c’est cela : la fonction crée l’organe.

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1 réponse

  1. François

    Les agences de notations ont toujours existé. Toute société qui a demandé un crédit savait qu’elle faisait l’objet d’une « enquête » : d’abord auprès de sa banque, appuyée par des « sociétés » telles les « assurances crédit-Namur », aujourd’hui Graydon et les autres, avec les mutations au gré des fusions/acquisitions…

    Aujourd’hui, on découvre les 3 sociétés de cotations internationales et leur formulation de cotation, comme pour les joueurs de Tennis…même amateurs.

    Sociétés privées, bien outillées, elles ou « on » les a projetées sur le devant de la scène médiatique, avec les conséquences économiques et politiques que cet éclairage a induit…

    Vous avez raison de souligner leur fonction de thermomètre.

    La sagesse populaire sait que « casser le thermomètre » ne fait pas disparaître la fièvre.

    Mais, en continuant la métaphore, la fièvre révèle mais n’explique pas : mesurer la baisse de température, après une prise d’aspirine, n’implique ni la connaissance de la maladie ni les moyens de la guérison…
    Connaître l’ « agent responsable » (et l’on sait la responsabilité que le « mode de vie du malade » est souvent une source d’aggravation du développement –sinon l’origine- de la maladie mais aussi de la rapidité de sa guérison. C’est aux médecins à proposer les traitements de les expliquer et au malade à l’appliquer, de chercher, par le dialogue d’adapter …et tout médecin sait que si le malade ne les accepte pas, il a peu de chance de réussir, de guérir.
    Parfois le remède en lui-même tue le patient ( = mot juste, puisqu’au sens étymologique, il signifie la souffrance et dans le langage courant l’acceptation, l’attente…donc l’espoir !).

    L’ « effet auto réalisateur» existe : c’est aussi la responsabilité des journalistes et des médias en général où la mise en lumière, la structuration de l’information, au-delà du respect normal de l’éthique, agit, partiellement sur la réalité.

    Par contre, je diverge fondamentalement de vos conclusions, quant à juger que le problème de la dette souveraine est fondamental…elle est un symptôme de la fin d’un cycle, d’une époque, plus modestement le couronnement, avant la décadence (je l’espère), d’une école de pensée : le Monétarisme, dont les papes sont M. FRIEDMANN, REAGAN et TATCHER .Au-delà, de leur figure falote, ils étaient les représentants efficaces de cette pensée, avec des succès certains : on ne peut pas objectivement déconnecter la politique Reaganienne de la « guerre des Etoiles » avec la chute du Communisme, le Thatchérisme avec la réduction de la construction de l’Europe (traite de Rome), càd la CEE puis UE, à une zone de « libre-échange »…et l’échec du Traité de Lisbonne.

    Ceci demanderait beaucoup de développements tant au niveau des sciences humaines (politique, économique, historique, etc.) que dans l’élaboration d’un essai de propositions de solutions.

    Pour faire bref (et ma position n’est pas originale : elle est aussi partagée par des politiques et des économistes patentés) :

    Sur le plan économique, la zone Euro, donc la BCE, doit reprendre le rôle, qui est le rôle de toute Banque Centrale : un instrument de la Politique (avec un grand P) économique :
    Comment demander à un Aigle à voler haut si on lui a coupé les bouts des ailes ?
    L’inflation (le gros mot pour les Monétaristes leurs épigones, et pour certains politiciens) n’est pas un pas un mal incontrôlable : je constate que de plus en plus d’économistes l’acceptent ( voir B.COLMANT) : l’inflation favorise les agents actifs au détriment des inactifs, les rentiers …(qu’ils soient pensionnés, propriétaires
    Evidemment, en Belgique, une exception mondiale (hormis le Luxembourg = la Suisse intra UE) « toucher à l’indexation automatique » équivaut à un crime.
    En un mot, je suis partisan d’une indexation forfaitaire des rémunérations, loyers, allocations , pensions, ect.
    (On pourrait imaginer un système alternatif de réaffectation collective via les impôts des « économies », liée au bénéfice de l’aspect forfaitaire, pour les employeurs, les propriétaires dont ils bénéficieraient « automatiquement »…
    Sur le même plan : la Belgique constitue un paradis fiscal pour les plus-values (cf la domiciliation « fiscale » des Français)…
    Un bon « deal » politique : les uns abandonnent « les intérêts notionnels » et les autres acceptent un réaménagement de l’indexation forfaitaire de toutes les rémunérations !

    Chaque instrument doit être évalué par rapport à son objectif, foin d’idéologie.

    Comme déjà dit, ceci demanderait beaucoup d’autres développements.

    Bernard HALLEUX

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