Colin-maillard au bord d’un gouffre

Billet radio pour la Première (RTBF), 24 avril 2012 – Ecoutez le podcast

Changeons-nous un peu les idées et parlons de l’élection présidentielle française.

On ne modifiera pas notre pronostic pour le 6 mai : la France va sans doute changer de président, non pas emportée par une vague d’amour pour François Hollande, mais parce qu’elle a envie de « se faire » Nicolas Sarkozy. Nous assistons au référendum inversé de 2007, avec un candidat rejeté par ressentiment et un autre élu par dépit.  La personnalité du président sortant est au cœur du débat politique depuis cinq ans. Ce côté « règlement de compte » explique la vraie déprime de cette campagne, qui n’arrive pas à se construire sur des sentiments positifs et d’espoirs. Même la gauche, pourtant favorite, sent bien que cette atmosphère triste et pluvieuse n’est pas celle de la Bastille et du Panthéon de 1981.

Conséquence de ce parfum de référendum : cette présidentielle se marque par une occultation sans précédent des débats de fond. Quelle est la situation de la France ? Une dette publique de 1.600 milliards d’euros, soit 82 % de son PIB, et le paiement d’intérêts grevant gravement les politiques publiques. Sur quoi la campagne électorale a-t-elle porté ? Sur le hallal dans les cantines, la taxation à 75% de quelques contribuables et le versement des retraites. On plane donc à mille lieues des vrais enjeux, dans un déni de la réalité confinant presque à l’autisme : comme ses voisins européens de « milieu de panier », Belgique inclue, la France vit à crédit et sur le dos de ses enfants. Comme le relevait Jacques Attali dans son billet apocalyptique intitulé 7 mai, gueule de bois, aucun des deux grands candidats n’explique sérieusement où il va aller chercher l’argent nécessaire à désendetter le pays. Ni l’un ni l’autre ne dégage de perspective crédible d’économie. A dire vrai, cette campagne ressemble fort à une partie de colin-maillard au bord d’un gouffre. On comprend pourquoi le journal britannique The Economist lui a décerné le titre d’« élection la plus frivole du monde ».

Dès le 7 mai, donc, ce sera le rendez-vous avec la dure réalité. Une gauche qui aura tous les leviers du pouvoir, une droite KO debout, et deux pôles d’extrême droite et d’extrême gauche durablement installés dans le paysage et attisant les sentiments de peur, de colère et de haine d’une population qui va inévitablement devoir affronter l’austérité. Un cocktail rêvé pour affronter les marchés financiers et les nécessaires trahisons des promesses de campagne. La seule vraie « chance » de François Hollande est que, élu par une vague résignée et motivée essentiellement par l’envie de dégager son concurrent, il incarnera à ce point l’icône modérée de la normalité qu’il ne pourra décevoir que modérément.

Les 15 jours qui nous séparent du second tour ne suffiront ni à donner à Sarkozy l’espoir d’une reconquête, ni à doter Hollande d’un charisme présidentiel – dans les deux cas, faut pas rêver. Mais si cette fin de campagne pouvait au moins permettre d’expliquer franchement aux Français la situation de leur pays et à les prévenir de la vague qui arrive, alors ces 15 jours auront peut-être servi à quelque chose.

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