C’est quand le bonheur ?

Billet radio pour la Première (RTBF), 26 juin 2012 

Puisque c’est presque les vacances, revenons sur cette petite enquête qui s’interroge sur le bien-être des Belges. Il paraît que nous sommes déprimés. Mais qu’est-ce que le bonheur ? Voilà bien la question philosophique « tarte à la crème » par excellence. Et pourtant, son objet paraît insaisissable. Le bonheur nous échappe en permanence, puisqu’il est  souvent insouciance.

Il est exact que, dans le bonheur, il y a le rapport au temps. Ce que les enquêtes démontrent, ce n’est pas tellement que les citoyens sont malheureux ; c’est surtout qu’ils sont angoissés. Le bonheur, ce n’est pas seulement ces petits moments de plaisir où l’on profite de l’instant présent : ce bonheur-là est réel, certes, mais il est en effet fugace, il s’évanouit dans nos mains parce que sa valeur provient de son caractère éphémère, dont la nostalgie devient rapidement l’ombre et le souvenir.

Non ;  le vrai bonheur, il s’attrape dans les projets, dans les visions d’avenir. C’est lorsque l’avenir, même proche, nous semble bouché que nous sommes malheureux – que ce soit dans notre travail, dans notre couple ou partout ailleurs. Le bonheur, ce n’est pas seulement planter sa main dans un sac de grains version Amélie Poulain ; ce n’est pas non plus seulement profiter du calme lorsque les ennuis se reposent ; c’est surtout faire des projets, se projeter dans l’avenir, s’accomplir. D’ailleurs l’étymologie ne trompe pas. Saviez-vous que le « Eür » de « bonheur » provient du latin augurium qui signifie « accroissement accordé par les dieux à une entreprise » ?

Or notre époque est anxiogène. Nous pensons que nous vivrons moins bien que nos parents. Et même si ce n’est pas vrai dans l’absolu, nous ressentons que rien n’est gratuit ni donné dans un monde qui génère un nombre d’angoisses infinies. En fait, nous payons avec nos angoisses le prix de nos libertés et de notre capacité à les gérer. Pensez donc : des générations d’esclaves, de paysans, de mineurs, de soldats n’ont jamais eu au cours des siècles l’opportunité de choisir que faire de leur vie. Nous, nous avons ce luxe inouï, et nous sommes face à notre propre liberté, c’est-à-dire face à notre capacité d’échec et d’insatisfaction : tout est possible, nous n’avons plus d’excuse. C’est vrai : c’est terriblement angoissant. Nous sommes malheureux parce que nous sommes angoissés, et nous sommes angoissés parce que nous sommes libres. Sortir de la caverne, cela a un prix.

Au niveau macro, le cercle devient encore plus vicieux : notre système économique est construit en quelque sorte sur le bonheur, dans la mesure où il basé sur la confiance… si tout le monde est angoissé, si personne n’entreprend, si personne n’investit, si personne ne crée de richesse, l’Etat ne peut plus financer les pensions ou les allocations des plus démunis… Nous sommes libres, mais si nous ne parvenons pas à gérer nos peurs, nous leur donnerons de bonnes raisons d’exister par prophétie autoréalisatrice. C’est tout le débat de l’austérité actuel en Europe : comment créer un choc de confiance et lancer la croissance sans casser la machine ?

Il faudrait idéalement protéger les plus précarisés tout en donnant envie d’entreprendre  à tous ceux qui veulent créer de la richesse et en les encourageant à le faire. Pas facile. Il faudrait pouvoir allier protection sociale et envie d’entreprendre – idéalement par exemple en combinant gauche et droite dans un même gouvernement. Une telle équipe pourrait alors restaurer la confiance, rassurer les citoyens et réunir une population enthousiaste derrière des réformes nécessaires.

… Quoi, j’ai dit une bêtise ?



Catégories :Chroniques Radio

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4 réponses

  1. Eh oui ! Liberté et sécurité, c’est le couple infernal ! La liberté, comme vous le dites, ça fait peur, c’est l’incertitude, il faut décider soi-même, pour soi. C’est peut-être pour ça que le religieux regagne du terrain. Tout y prévu, mesuré, expliqué, commenté, réglementé, même son comportement personnel, jusqu’à l’avenir quand on est mort…. quelle horreur ! Les idéologies ( bien qu’il n’y ait, selon moi, pas plus idéologique qu’une religion) font de même. Nous sommes dans l’idéologie productiviste capitaliste ( la version communiste a fini aux poubelles de l’histoire. Ca ne me cause aucun regret). Finalement, je pense que plutôt que l’incertitude engendrée par liberté, dans le cas qui nous occupe, il pourrait bien s’agir d’une frustration : ne pas être sûr de pouvoir jouir de tous les objets proposés à la convoitise du gogo-consommateur. (Qu’on persiste, contre toute évidence, à nommer encore citoyen. Certes, généralement quand il y a des élections en vue, la fonction citoyenne étant réduite à fournir un boulot intéressant aux élus du peuple professionnels).

    • Envoi estival :

      Camus:
       » on ne décide pas d’une vérité selon qu’elle est à droite ou à gauche (..) Si, enfin, la vérité m’apparaissait à droite, j’y serais »

      à présent ceci du même:

      « Tout n’est pas politique, on ne meurt pas tous les armes à la main. Il y a l’histoire et il y a aussi autre chose:
      le simple bonheur,
      la passion des êtres,
      la beauté naturelle.. »
      Je te souhaite les trois, François-et à tes lecteurs- pour ces vacances…
      Christian

  2. Devenir responsable de son bonheur … Et si c’était tout simplement l’acceptation de soi, sans avoir à entrer dans la compétition d’avec le plus riche, le plus possédant, le plus titré, le plus oultre ?
    Et si c’était tout simplement de cultiver son jardin à la Candide … à petits pas, donner le meilleur de soi … et par là même entraîner nos proches dans la danse, qui darderont les autres du même rayon vers l’infini …
    Le bonheur c’est d’être, et aucune difficulté n’est insurmontable tant que l’on garde confiance en soi …

  3. « Pensez donc : des générations d’esclaves, de paysans, de mineurs, de soldats n’ont jamais eu au cours des siècles l’opportunité de choisir que faire de leur vie. Nous, nous avons ce luxe inouï, et nous sommes face à notre propre liberté » « Nous sommes libres » ….. l’embrigadement de la « sagesse »…..se dire libre est comme se dire sage, c’est le début de l’esclavage et de l’ignorance.

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