Billet radio pour la Première (RTBF), 13 novembre 2012 – Ecoutez le podcast
Le budget. Cette corvée administrative dont la moindre petite PME, la moindre petite association s’acquitte au plus tard au début de l’automne, et que le gouvernement fédéral – c’est certain – ne pourra pas faire voter avant la fin de l’année.
Comme d’habitude, il manque de l’argent – même pas pour revenir en équilibre, mais pour se « contenter » d’ 1,5 points de déficit. Toujours le même carrousel : faut-il pénaliser l’entrepreneur, le travailleur, le consommateur, le chômeur, en sachant que tout le monde a plusieurs de ces casquettes ? Comme chaque parti a un peu ses petits oiseaux, ses niches, chacun tire la couverture et on tourne et on tourne. De plus pour pimenter le jeu il y a un gage : ne pas tuer l’économie et donc ne pas prononcer le mot « austérité », parce que c’est le mot interdit, c’est Voldemort dans Harry Potter, celui dont on ne doit pas dire le nom. Il ne faut pas faire peur aux marchés – qui ne doivent pas s’arrêter de prêter – ni à la population – qui ne doit pas s’arrêter de consommer. Le premier qui dit « austérité » a perdu, alors que la première règle du jeu d’un conclave est qu’à la fin tout le monde doit avoir gagné. Je vous le promets, même si ça prend encore trois semaines : chacun en sortira en disant qu’il a obtenu exactement ce qu’il voulait.
Et dès que ce sera fait, reprendra alors un autre carrousel en forme de cercle vicieux, ou en forme de jeu du chat et de la souris. Plus les citoyens, les entreprises, les allocataires sociaux se retrouvent mis à contribution, moins ils dépensent, moins ils engagent et plus ils fraudent, et plus le gouvernement recherchera encore de nouvelles recettes. Réjouissons-nous : nous avons peut-être inventé le mouvement perpétuel.
Il y a là un ressort psychologique trop souvent négligé. Qu’elle soit sociale ou fiscale, la fraude n’est pas un simple réflexe égoïste ; elle est conçue dans l’esprit du fraudeur comme de la légitime défense. A tort ou à raison, la population se sent surtaxée et ne perçoit pas que l’Etat réduit ses dépenses, elle ne ressent pas ce choc spectaculaire qui lui permettrait de considérer que, réellement, les autorités se serrent la ceinture, surtout si elle tombe sur l’interview d’une présidente d’intercommunale qui démissionne parce que le montant de ses jetons de présence lui donne mal au ventre. Les fraudeurs se réfugient dans l’impression que le système est injuste, et que c’est l’Etat qui a commencé la guerre.
La question sous-jacente est celle de la solidarité et de la transparence, dont le budget est le thermomètre annuel. Dans l’Etat, la solidarité se manifeste via les impôts et la redistribution. La mutualisation va de pair avec une certaine opacité : tout le monde donne, et tout le monde peut être en situation de recevoir ; chacun peut être tour à tour et en même temps actif, chômeur, parent, enfant, retraité. Normalement le citoyen ne s’amuse pas à faire le compte entre ce qu’il donne et ce qu’il reçoit pour déterminer s’il a le droit moral de frauder. Dans un Etat normal, chaque citoyen est heureux de payer ses impôts parce qu’il sait qu’il participe à un système dont il est lui-même bénéficiaire ou pourrait l’être. Faut-il vraiment attendre les conclaves budgétaires pour comprendre que ce ressort-là ne fonctionne plus ?
Car cette méthodologie au forceps n’est manifestement pas le lieu des réformes structurelles, qui seraient, elles, aptes à répondre aux inquiétudes des citoyens. Ce n’est pas dans ces marathons budgétaires qu’on va décider de rationaliser les réseaux d’enseignement et les provinces, d’évaluer les intercommunales, d’interdire les cumuls de mandat ou de prendre toutes les autres mesures qui seraient aptes non seulement à faire des économies, mais à dire à l’opinion que la gouvernance n’est pas un vain mot et à la faire rimer avec confiance. Au contraire, on se retrouve à trancher au finish sur des mesures qui passent pour des ajustements et du marchandage : tu abandonnes ton saut d’index, j’abandonne mon point de TVA. L’impression domine qu’il n’y a pas de réflexion structurelle, il n’y a qu’un mikado de mesures qu’on nous habillera d’un ruban fané sur lequel il sera écrit « Déficit 2013 » et qui sera pourtant porté par tout le gouvernement comme l’enfant Jésus ou la huitième merveille du monde.
Triste ronde, en vérité. Plus les partis politiques se racrapotent sur leurs prés carrés plus les citoyens se réfugient dans leurs cases, plus c’est finalement la défiance qui gouverne. Défiance qui, en dépit des apparences, ne rimera jamais avec croissance.
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