Billet radio pour la Première (RTBF), 16 avril 2013
L’affaire Cahuzac a remis en selle la transparence comme Alpha et Omega de la bonne gestion. Dans le droit fil de l’ambiance de grande lessive qui déferle sur la France, les élus de tous bords se jettent dans la course à la déclaration de leur patrimoine, sous l’invocation quasi mystique du Dieu Transparence – en Belgique, certains ont même suivi le mouvement alors que personne ne leur a rien demandé. Le manège serait amusant à observer s’il ne donnait pas une impression de « football panique » d’une corporation montrée du doigt. La réaction est immédiate et peu mûrie : face au mensonge éhonté et flagrant d’un ministre du Budget qui fraude, on invoque la transparence pour se prévaloir de sa bonne foi, pour montrer qu’on est un bon élève. Tous pourris sauf moi, et moi, et moi. Victoire du réflexe, défaite de la réflexion.
Vive la transparence, donc. Et vive cette course absurde alors qu’aucune mesure de déclaration de patrimoine n’aurait empêché M. Cahuzac de réaliser sa fraude couverte par le secret des banques suisses. Cela ne risque pas d’arranger la perception des électeurs sur le rapport des hommes politiques avec l’argent, toujours associé à la puissance. En forçant les élus à déclarer leur patrimoine, on ne fait que renforcer l’amalgame entre argent et puissance, on ne fait qu’expliquer au peuple qu’il a raison de s’offusquer, de se méfier, de se défier de ses élites.
Mais le plus grave, c’est qu’une telle approche manque complètement « le » véritable débat sur la transparence concernant le monde politique et l’argent public. Qu’y a-t-il de scandaleux que des élus gagnent leur vie ou exercent un autre métier qui leur permette de rebondir le jour où la politique s’arrête ? Le fraudeur décidé trouvera toujours le moyen de contourner une règle. Nous sommes en face d’un écran de fumée : l’important ce n’est pas la fiche signalétique des élus, mais leur action. Ce qui mine la confiance entre politiques et citoyens, c’est moins l’opacité des patrimoines que celle de l’action publique. La première n’est que la goutte qui fait déborder le vase du second. Car la véritable question de la confiance, c’est de savoir comment est utilisé l’argent public de l’Etat, non l’argent privé des élus. Et là il y aurait véritablement un travail de transparence à accomplir : comment rendre lisible l’efficacité des politiques menées dans un environnement devenu complexe, aux multiples entrées ? Comment permettre aux citoyens de se réapproprier ce monstre repoussant qu’est devenu le budget ?
Le budget d’un pays, c’est la concordance entre ses recettes et ses dépenses. Les premières sont alimentées principalement par l’impôt et par l’emprunt, les secondes servent au fonctionnement des services publics et à assurer l’Etat-Providence. Il se trouve que depuis belle lurette les deux colonnes ne correspondent plus, raison pour laquelle il faut chaque année recourir à l’emprunt et augmenter la dette publique. Problème : depuis trente ans s’endetter s’est avéré plus facile, pour les gouvernements, que d’opérer les coupes ou les augmentations d’impôt qui maintiendraient le budget en équilibre. C’est parce que cette dette, par ses intérêts et par la mise en commun européenne des critères de convergence sous le signe d’une monnaie unique, est devenue trop lourde à porter face aux marchés que le réajustement est devenu vital et nous a lancé droit sur des politiques d’austérité depuis la crise financière de 2008. Et là il y a un magnifique débat à entreprendre sur la transparence : non pas celle des élus, mais celle des recettes et des dépenses publiques. Les dépenses, le citoyen en profite chaque jour sans réaliser ce que coûtent l’Etat, ses services publics, sa sécurité sociale ; il en est bien content lorsqu’il se fait rembourser une consultation, et finit par prendre tous les services dont il bénéfice comme des acquis, sans trop s’interroger sur ce qui alimente la manne céleste. Les recettes, le citoyen en a une meilleure perception, sans jeu de mots, puisque c’est principalement dans sa poche qu’on va les chercher. Lorsqu’il se retrouve dans la peau du contribuable, il a l’impression de se faire extorquer et ne paie que rarement de bon cœur. Non pas tant par égoïsme que par ce sentiment diffus que certains s’en sortent mieux que d’autres et fraudent, et que l’Etat gaspille probablement une partie de ses moyens. Le fraudeur, qu’il soit fiscal ou social, puise dans ce sentiment de chaos et de débrouille la légitimité nécessaire pour éponger sa mauvaise conscience.
Car de toute façon, le citoyen qui souhaiterait véritablement savoir ce que coûte l’Etat et évaluer ce coût au regard de ses missions n’en a pas réellement les moyens. Il en faudrait, de l’abnégation, pour se farcir les cahiers du CRISP, les rapports du GERFA, les analyses du Bureau du Plan, les rapports de la Banque nationale, la compilation des travaux de centres de recherches idoines et pour s’en faire une synthèse objective. Les travaux de vulgarisation qui permettraient de chiffrer, à la portée de tous, le coût de l’Etat (tous niveaux de pouvoir confondus) au regard des services qu’il rend en y incorporant une grille qualitative ne sont pas légion. Pour le dire simplement, le monitoring intégré des coûts et dépenses de l’Etat n’existe pas. On peut comprendre pourquoi : la complexité des institutions et la diversité idéologique des approches possibles rendent l’exercice franchement ardu. De temps à autre, par le truchement d’une étude, d’une déclaration, d’un article de presse, en général diligentés par telle ou telle tendance idéologique selon la conclusion à en tirer, sortent des bribes: tel impôt se révèle mal perçu, telle dépense s’avère visiblement inutile, tel achat ou déplacement est manifestement scandaleux… Selon leur contexte – par exemple en conclave budgétaire – ces sorties renforceront tantôt les partisans des économies, tantôt ceux de la relance par l’investissement. L’ensemble offre une vue d’ensemble frustrante : c’est la foire permanente aux slogans– car il faut, en outre, faire simple et direct. Chacun peut mettre en avant ce qu’il veut. Au bout du compte règne l’opacité, qui alimente la défiance et légitime chez le citoyen ou chez l’entreprise le droit de frauder le fisc, légitime chez le prestataire social le droit de frauder l’Etat-Providence.
La véritable transparence ne devrait-elle pas se porter sur cet aspect ? Le contrat social contemporain se base sur une règle implicite : chacun contribue selon ses moyens (c’est l’impôt) et chacun reçoit selon ses besoins (c’est la redistribution), le débat politique se résumant au bout du compte aux poids dont on crédite, à gauche ou à droite, chaque levier de la balance. Ce contrat est vicié par le manque de connaissance de la vue d’ensemble par le citoyen, qui dessine une situation de grande débrouille où chacun peut aller puiser dans les imperfections du système une raison pour se convaincre d’en profiter. Du coup, la moindre affaire extrapole un sentiment latent de frustration et lui donne une ampleur cataclysmique, au-delà de toute raison. C’est cela que l’affaire Cahuzac expose si spectaculairement : puisque le ministre du budget fraude, comment imaginer que tout le monde n’aie pas vocation à le faire ? Lier la transparence au patrimoine des élus, c’est manquer complètement la défiance dont cette époque est le nom. Fondamentalement, quelle importance cela a-t-il que les élus soient bien nés ou d’origine modeste, roulent en grosse cylindré ou en tram, passent leurs vacances à la côte belge ou en Jamaïque ? Cela n’a strictement aucune importance et relève en effet de la vie privée. Cela jette l’opprobre et la suspicion à peu de frais. Et cela éloigne de la seule vraie transparence sur laquelle il faudrait travailler: faire participer chaque citoyen à une meilleure connaissance des voies et moyens du budget.
Imaginons qu’existe un tel outil. Imaginons qu’existe ce monitoring simple d’accès par lequel chaque citoyen comprend ce qu’il coûte et ce qu’il apporte. Imaginons même que le monde politique se serve de cet outil, en toute transparence, et que ce soit au départ de cette base commune et objective que chaque parti élabore son propre programme, sur une base comparable. Bref, imaginons qu’on fasse enfin de la politique budgétaire à livre ouvert et non plus par slogans. Le citoyen ne sera-t-il pas davantage lié à l’Etat, la collectivité ? Ne sera-t-il pas moins tenté de frauder, davantage incité à payer ses impôts ? Les gaspillages n’apparaîtront-ils ainsi pas rapidement ? Les impôts les plus injustes n’apparaîtront-ils pas en toute leur splendeur ? Un tel outil, enfin, permettrait au monde politique d’être davantage courageux: c’est parce qu’il ne parvient pas, exprès ou non, à rendre transparents les voies et moyens de l’Etat, et donc à se forcer lui-même à faire des budgets en équilibre, que l’autorité publique utilise depuis quarante ans le confort du déficit et de l’emprunt continuel finançant le présent par l’avenir. S’il est plus facile de s’endetter que d’ajuster les dépenses aux recettes, c’est aussi à cause de la peur d’affronter l’opinion publique sur le champ de bataille de la vérité des chiffres.
Les citoyens paieraient leurs impôts plus volontiers s’ils n’avaient pas l’impression d’alimenter une caisse noire dans laquelle certains, en toute légalité, se servent grâce à leurs privilèges. Il serait également plus facile de faire accepter certaines économies si les citoyens disposaient de moyens de se rendre compte que l’effort est équitablement réparti. On en est encore loin. Il devient objectivement très compliqué d’expliquer au contribuable que ses impôts servent à payer 70.000 € de smartphones à des fonctionnaires communaux ou à envoyer des élus provinciaux en mission à l’étranger d’une part et à exiger de lui qu’il paie ses contributions rubis sur ongle et s’abstienne de frauder d’autre part.
Cette transparence-là, tous auraient à y gagner. Tous, sauf ceux pour qui le flou est une chambre noire dans l’obscurité de laquelle faire carrière.
Catégories :Chroniques Radio
J’aime l’utopie, c’est elle qui par son imagination bouscule le monde, fait avancer le genre humain ! Puissiez-vous être lu et compris, entendu et suivi !
Bravo pour ce texte qui, enfin, met le doigt là où ça fait mal. Plutôt que de mettre encore un emplâtre de plus sur une jambe de bois, comme votre collègue Bertrand Henne le proposait la veille (en souhaitant, bien qu’il s’en défende, une fiscalité et un état toujours plus proches du totalitarisme), vous débusquez la source du problème. Oui, c’est bien le gaspillage et la gabegie publics qui sont la source principale de notre endettement.
Dans le même souci de transparence, il faudrait ne plus comparer le déficit de l’état au PIB mais à ses recettes, ce qui est beaucoup plus correct. C’est la différence entre les recettes et les dépenses qui indique le déficit. Le PIB n’a rien à voir là-dedans. Ce changement simple ferait beaucoup pour que nos compatriotes réalisent dans quelle mesure l’état s’endette!
On a besoin de beaucoup plus que de transparence. Ce serait bien mais clairement pas suffisant. Nous avons besoin que les décisions soient prises dans l’intérêt général, plutôt que dans l’intérêt de quelques-uns.
Alors plus de transparence, oui, mais pas que.
Je rêve de démocratie (la vraie). Je rêve d’être citoyen (pas électeur). Nous donnons le pouvoir (par les élections) à des gens qui le veulent (les candidats des partis), quelle folie ! Arrêtons cela et nous résoudrons bien des problèmes. http://le-message.org
@yannick : et si nous comparions le déficit à l’intérêt de la dette ? Ça pourrait être instructif.