Voici trois semaines déjà, j’avais interpellé la Première ministre sur l’état du secteur, et le caractère insuffisant des mesures prises par le Fédéral. La culture, juste après l’horeca, est le secteur le plus touché par la crise, et ces deux secteurs ont aussi en commun de ne pas rouvrir et de ne pas avoir de perspectives claires.
Depuis lors, quelques pas ont certes été posés. On a rouvert les musées et les monuments historiques. La ministre de l’emploi a aussi informé, le 8 mai dernier, ouvrir le chômage temporaire aux travailleurs de l’événementiel et du secteur artistique des spectacles et manifestations qui ont été interdites ou annulées par les pouvoirs publics qui devaient se dérouler entre le 1er mai et le 31 août 2020. Il faut aussi ajouter à l’actif l’ensemble des mesures prises par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région bruxelloise en faveur du secteur culturel.
Mais à part ça, sur le statut d’artiste lui-même, rien de particulier à part des propositions de loi qui n’ont pas été considérées comme urgentes, et des « plans globaux » à tous les niveaux de pouvoir, qui ressemblent surtout, convenons-en, à des plans sur la comète. Alors, après avoir interrogé la Première ministre au parlement, nous avons reçu beaucoup de signaux du secteur, et on a consulté. Et on en a fait un texte pour l’urgence. Pas un plan sur la comète, mais du concret, ici et maintenant. A la mesure de l’urgence.
L’urgence, c’est de mettre enfin sur pied des mesures adaptées à la gravité de la situation. Nous déposons une proposition de loi qui, si elle est adoptée, aura trois effets :
1) le bénéfice du chômage temporaire pour tout travailleur du secteur artistique dont l’engagement aura été suspendu, interrompu, pour cause de COVID-19, quel que soit l’état de formalisation dudit engagement ou le statut social du travailleur ;
Le choc du covid-19 a interrompu toute une série de situations et de projets professionnels de travailleurs qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas toujours bénéficier du chômage économique. Parmi eux, de nombreux artistes ou travailleurs évoluant dans ce milieu, ne bénéficiant pas du statut. Il convient donc de créer une nouvelle catégorie de chômeurs temporaires en cas de pandémie.
Ca ne concerne pas que les artistes ; il est temps de considérer que toutes les situations de travail interrompues par le covid doivent être considérées comme entraînant un droit au chômage pour force majeure. Dans les faits, à partir de maintenant, cela va surtout aider le monde culturel et l’horeca, c’est-à-dire les deux secteurs les plus en crise, qui restent fermés après le 11 mai et qui ne peuvent pas rouvrir.
Il est encore nécessaire d’espérer, ici, une flexibilité de l’ONEM s’agissant du caractère probatoire des attestations que les employeurs pourront délivrer.
2) une prolongation des droits des intermittents du spectacle de six mois au-delà des mois où toute activité aura été impossible ;
J’avais posé la question à la ministre Muyle et à la première ministre du temps durant lequel les artistes bénéficiant du statut pourront faire valoir leurs prestations; les deux m’ont répondu que le délai serait prolongé de la durée équivalent à la crise. Je pense qu’il faut être plus concrets que cela, et nous adapter au fait que le secteur artistique a besoin de temps pour programmer, planifier.
Nous voyons bien que la crise aura des effets longs ; pour amener des perspectives, il faut évidemment immuniser le statut dans le temps, jusqu’au moment où une reprise culturelle réelle aura pu se faire. Des prestations artistiques ne se prennent pas en deux-temps trois mouvements. Ce secteur fonctionne par programmation, création. Le délai utile à pouvoir prouver les prestations doit être pensée en temps plus longs que jusqu’à présent. Il est donc nécessaire, et c’est ce que nous proposons, de porter ce délai jusqu’au 1er mars 2021.
En France, le droit des intermittents a été prolongé jusque fin août 2021; une prolongation jusqu’au 1er mars 2021 est donc, pour nous, la moindre des choses.
3) la suppression de la double discrimination entre les personnes qui perçoivent des droits d’auteurs et les droits voisins et celles qui perçoivent d’autres revenus mobiliers et immobiliers d’une part et les artistes qui exercent leur activité artistique soit dans un lien contractuel soit en dehors de tout lien contractuel d’autre part.
Comme l’a expliqué mon collègue Emmanuel De Bock dans l’Echo récemment, « Alors que 90% des artistes gagnent moins de 10.000 € de revenus de droit d’auteur par an (moins que le CPAS), l’ONEM s’acharne à poursuivre dans des procès coûteux et fastidieux les auteurs, créateurs et artistes les plus précaires, en refusant de considérer les revenus d’auteur comme des revenus mobiliers à part entière. En France, les droits d’auteur et les droits voisins ne sont expressément pas considérés comme de la rémunération et il ne peut en être tenu compte pour le calcul des allocations de chômage (Assédic). (…) Depuis 2004, l’Unedic français a pris une circulaire confirmant que la nature de ces revenus conduit à ne pas les prendre en compte pour le calcul des droits à l’indemnité de chômage. »
Il s’agit ici de mettre fin ici à une discrimination sans fondement : les artistes se voient compter les – souvent maigres – revenus de leurs droits d’auteur dans le calcul de leurs indemnités de chômage, ce qui les pénalise, alors que le chômeur ou l’artiste bénéficiant de revenus locatifs, par exemple, ne subira aucun contrecoup. Il est temps de laisser les créateurs jouir de leurs droits d’auteur et droits voisins sans avoir à craindre qu’il affecte leur statut.
Ces propositions sont simples, et nous semblent aller dans le sens de ce que souhaite le secteur. Nous allons demander l’urgence au parlement. Deux autres propositions de loi voulant aider les artistes n’ont pas reçu l’urgence. Je demande à mes collègues de tous les partis démocratiques de voter cette urgence et de permettre que cette proposition soit débattue rapidement avec les autres propositions en commission affaires sociales spéciale culture.
Mais ceci n’est qu’un premier pas. Je pense que dans chaque crise réside une opportunité. Et là il y a quelque chose qui est en train de se passer dans le monde culturel. Non seulement dans le regard que les politiques ont sur les artistes, mais aussi dans la manière dont le monde culturel se considère lui-même, dans les relations au sein du secteur artistique lui-même, qui tente de s’unifier. Car c’est une partie du problème. Si le statut d’artiste est ce qu’il est, ce n’est pas seulement parce qu’il y aura des méchants politiques d’un côté et des gentils artistes de l’autre. C’est aussi parce que derrière le mot “artistes”, il y a des millier de réalités différentes. Entre un théâtre subsidié qui veut passer à travers la crise grâce à son contrat-programme et un théâtre privé qui doit tout à sa billetterie, il y a un monde, que cette crise met en avant. Parce que le monde culturel, les artistes, ce sont des réalités très différentes. Mais il nous revient de saisir ce momentum. A nous c’est-à-dire aux politiques, mais aussi aux artistes eux-mêmes. Je lis que le secteur est en ébullition et tente de se fédérer. C’est une bonne chose ; car depuis le début de cette crise on parle « des artistes » comme si c’était un monde monolithique dans lequel a tout le monde a les mêmes centres d’intérêts ; ce que je ne crois pas. Si le monde artistique parvient à s’unir, à unir sa représentation, il donnera une force et une cohérence à ses revendications qui les rendront impossibles à contourner.
Eh bien, cette complexité, affrontons-là! La proposition que je lance, à côté de cela, c’est d’utiliser le temps que nous avons pour réformer pour de bon le statut d’artiste. J’ai été heureux d’entendre mon collègue du MR lancer un plan, dont certaines idées sont intéressantes. Mais le point le plus important de ces propositions est de réformer le statut d’artiste, et, pas de chance, sur ce point il nous renvoie à un hypothétique accord d’un hypothétique gouvernement. En fait, pourquoi attendre ? Il y a un gouvernement de plein exercice et un parlement en ordre de marche. Et le MR dispose de sept ministres, dont la première d’entre elles. Ce parti a tous les leviers en main pour entamer, demain, une réforme du statut d’artiste. Et donc je propose que sans attendre, tous les partis démocratiques travaillent sur une réforme du statut d’artiste pour aboutir sous ce gouvernement. Pourquoi attendre ? Et pourquoi ne pas transformer cette crise en opportunité ? Nous avons environ quatre mois devant nous ; et si nous utilisions ce laps de temps pour doter les artistes d’un statut digne de ce nom ? Et, avec les artistes qui sont en train de s’unifier, on se mettait durant ces quatre mois autour de la table pour rénover ensemble ce statut, une bonne fois pour toutes ? Je ne vois pas ce qui nous impose d’attendre le prochain gouvernement.
Et, à cet égard, deux réflexions encore.
– Le statut d’artiste mérite mieux qu’un formulaire de chômage : créons un vrai statut, qui prévoit une indemnité, qui soit cadré, mais qui soit lié à autre chose qu’à des indemnités de chômage. Et ce n’est pas juste une question de moyens, c’est une question de mots, donc de reconnaissance et de symbole. De la même manière qu’on a sorti jadis la migration des prérogatives du ministre de l’Intérieur, je pense qu’il est temps de sortir le statut d’artiste des prérogatives du ministre de l’emploi et du chômage.
– A propos, c’est le moment ou jamais d’assumer le rôle du fédéral ; il faudrait un seul ministre en charge de la Culture au fédéral, pour le patrimoine culturel fédéral et pour le statut d’artiste. Les artistes bénéficieraient, ainsi, enfin d’un interlocuteur clair, et notre structure fédérale d’un pôle assumant la fonction culturelle. Et ce, sans rien changer au rôle prépondérant des Communautés.
Je n’ai pas dit que ce serait facile. Si ça l’était, ce serait déjà fait. En résumé: j’invite les autres partis à 1) nous rejoindre et à voter ces 3 mesures d’urgence que nous proposons pour permettre à tous les artistes de traverser cette crise et 2) à mettre à plat ce statut d’artiste dans les 4 prochains mois et en faire, réellement et symboliquement, un statut qui ne se réduise pas à remplir des cases sur une fiche de demandeur d’emploi. Le statut d’artiste mérite mieux qu’un formulaire de chômage.
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J’aurais voulu être un artiste… ou pas
Catégories :DéFI
Bravo. Puissiez-vous être suivis. Et ne vous arrêtez pas en si bon chemin…
Ah Francois, merci et bravo. Du point de vue de la sécu c’est une parfaite hérésie de considérer ces droits d’auteur comme du revenu professionnel. Bravo pour le reste aussi. Bises
Envoyé de mon iPhone
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bravo!
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