Chers amis,
C’est un bonheur de vous revoir, malgré ces temps difficiles. Votre présence nombreuse aujourd’hui le prouve: plus les temps sont difficiles, plus nous avons besoin de nous voir.
Nous vivons des temps périlleux qui sont des moments de bascule. Où tout devient possible, y compris le pire. Rendez-vous compte: en trois ans, nous avons connu une pandémie comme il n’y en avait plus eu depuis plus d’un siècle, le retour de la guerre au cœur de l’Europe et à présent, une crise énergétique sans précédent. Le tout dans une atmosphère où le changement climatique est devenu réel et perceptible pour le monde entier.
Non, ce n’est pas le moment le plus simple pour faire de la politique, comme me le faisait amicalement remarquer Didier Gosuin l’autre jour. Mais comme vous le savez, il faut faire sien ce mantra du philosophe Kierkegaard: ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est ce qui est difficile qui est le chemin.
Et c’est à ça que sert ce parti, DéFI: à ne pas reculer devant la difficulté. A oser dire les choses, à assumer des responsabilités. A ne pas reculer devant les obstacles et à tenter de voir, avant d’autres, les difficultés à venir. C’est à ça que sert notre université d’été. Il y a un an, ici même, nous avions travaillé sur le thème “Energie: l’heure des choix”. Reconnaissez que ce n’était pas trop mal vu. Cela nous a permis, justement, d’être prêts, comme parti, devant la crise énergétique que nous vivons – je vais y revenir.
De la même manière, c’est parce que DéFI ne recule pas devant les difficultés, parce que le courage politique est dans notre ADN, que nous avons décidé de travailler aujourd’hui sur ce dossier sensible qu’est la mobilité, qui va devenir un enjeu capital et sur lequel toute la classe politique est attendue. Nous devons trouver des solutions compatibles à la fois avec le changement climatique et avec le droit fondamental des citoyens à se déplacer.
Je voudrais remercier celles et ceux qui se sont emparés du sujet et dont le travail a permis de dégager des lignes de force. Car de nos échanges, je retiens un enseignement: oui, la conciliation de toutes les libertés est possible: celle des piétons, celle des cyclistes, celle des automobilistes. Mais la liberté, on le sait, n’est rien sans les moyens de l’exercer. C’est aussi le cas en termes de mobilité. Le problème n’est pas le prix du billet de métro ou de train, le problème est d’avoir une gare ou une station de métro ou de train à proximité de chez soi. Le problème n’est pas d’avoir des piétonniers en ville; le problème est d’avoir des parkings de dissuasion et des transports en commun qui permettent d’y accéder. Autrement dit: oui, bien sûr, nous devons être conscients des changements d’habitude. Nous devons prendre conscience que de moins en moins de Bruxellois, par exemple, ont une voiture et que de plus en plus veulent une qualité de vie et de l’air pur. Et c’est leur droit. Il n’y a pas de problème à diminuer la place de la voiture en ville si les alternatives existent. La difficulté survient lorsqu’on assène de contraintes les automobilistes avant de construire suffisamment d’alternatives. Le difficulté survient lorsqu’on veut utiliser la contrainte pour changer les comportements avant d’offrir toujours les moyens réels de changer les habitudes. Autrement dit: ce que Goodmove montre surtout, c’est qu’il manque un RER, c’est qu’il manque des parkings et qu’il manque trois lignes de métro à Bruxelles. Tout comme, en Wallonie, il manque de lignes de bus et de train et des gares accessibles. Si vous voulez compliquer la vie des automobilistes, il faut d’abord leur offrir les alternatives, et pas l’inverse. Maintenant qu’on a réduit les prix des tickets et dissuadé la circulation de transit, ce qu’il reste à faire est simple: améliorer et étendre le réseau. Et il n’y a plus d’excuse pour ne pas le faire.
Liberté d’entreprendre
Nous avons aussi travaillé sur la liberté d’entreprendre. C’est essentiel. Et je remercie mes collègues d’avoir mis en avant nos priorités, établies dans l’Axe 3: promouvoir la liberté d’entreprendre à l’école, simplifier la vie de celles et ceux qui veulent créer, rendre aux Wallons et aux Bruxellois l’envie d’entreprendre, de lancer leur activité, mettre sur pied un plan économique crédible entre Wallons et Bruxellois. Nous le savons: l’économie de notre pays repose largement sur un maillage de PME qui font l’essentiel de notre richesse. Aider les citoyens, et singulièrement les jeunes, à entreprendre, c’est créer la richesse et l’emploi de demain. Disons les choses franchement: il y a un manque évident d’esprit d’entreprendre dans notre pays. Nous devons travailler sur les structures, les procédures, nous devons simplifier radicalement la fiscalité et l’administratif… mais nous devons aussi, dès l’école, implémenter l’idée que chacun peut entreprendre, chacun peut tenter de créer, et que chacun peut échouer et puis se relever.
Crise de l’énergie
Mais pour entreprendre encore faut-il ne pas être assommé par ses factures d’énergie. Tout comme pour vivre tout court, d’ailleurs. Et je sais que, pour les entreprises comme pour les ménages, la priorité, la grande inquiétude aujourd’hui ce sont les factures de gaz et d’électricité devenues impayables. Cela ne peut plus durer et ce gouvernement doit arrêter de se réfugier derrière des Codeco ou l’Union européenne. Ce ping-pong de bonnes intentions sans actions est insupportable.
Soyons clairs, d’abord: toute mesure qui entend reporter les charges est inaudible pour les citoyens. Venir dire aux ménages qui se retrouvent avec des factures de 8.000 euros par an qu’ils vont pouvoir étaler leurs factures ou reporter quelques tranches de crédit hypothécaire, c’est une forme de renoncement. C’est prendre acte de l’anomalie de la situation. Or il ne faut pas prendre les gens pour des idiots. Car chacun comprend bien que la situation actuelle est injuste. Chacun comprend que les profits enregistrés par les compagnies énergétiques sont illégitimes, parce que l’électricité ne coûte pas plus cher à produire aujourd’hui qu’hier, et que les prix vertigineux sont dus à des marchés devenus fous, où la spéculation l’a emporté sur la raison.
Si la Commission européenne peut rapidement plafonner les prix du gaz, tant mieux. Mais cela ne dispense pas la Belgique d’agir sur le prix de l’électricité, et elle peut le faire tout de suite. J’enjoins encore une fois la Vivaldi à enfin utiliser les leviers qui sont les siens afin de venir au secours de nos populations, et singulièrement les classes moyennes et des entreprises, particulièrement exposées. Et pour le dire de manière encore plus claire: il faut une solution cette semaine. Depuis des semaines nous avons beaucoup de ministres aux responsabilités qui demandent ceci ou qui exigent cela, mais il n’y a aucune décision avec impact sur la facture elle-même. Il est grand temps d’agir. Parce que ces effets d’annonce sans résultats concrets vont finir par saper le moral de la population.
En d’autres termes, la Belgique doit immédiatement fixer un tarif pour les simples citoyens consommateurs; ce tarif doit être plafonné et limité, par exemple pour une consommation normale. La Belgique peut le faire toute seule, comme plusieurs autres pays européens. C’est la solution la plus simple parce qu’elle règle le problème à la source. Elle empêche les factures démentielles et évite de devoir aller récupérer après coup des montants qui n’auront pas été dépensés. Ce tarif doit aussi bénéficier aux entreprises, sur la base de leur consommation moyenne, afin de soulager les PME. Si elle est combinable avec une extension du tarif social, allons-y. La crise que nous vivons est comparable aux débuts du covid: investir maintenant pour protéger citoyens et PME, c’est éviter une récession qui nous coûtera beaucoup plus cher.
Mais il nous faut aussi, chers amis, agir dès à présent sur les causes sous-jacentes de cette crise. Car cette crise des prix de l’énergie n’est que la première d’un nouveau monde, où nous devons prendre nos marques.
J’entends parfois dire que la crise des prix de l’énergie est due à la guerre en Ukraine, qu’il faut donc arrêter d’aider les Ukrainiens, arrêter de sanctionner la Russie. Je peux comprendre de tels réflexes de repli. C’est humain. Mais je le dis tout de suite: faire cela c’est exactement faire ce que souhaite de nous Vladimir Poutine. Car ne nous y trompons pas; s’il coupe le gaz maintenant, c’est précisément parce qu’il ne parvient pas à gagner sa guerre d’agression. Mais surtout, rendons-nous compte que la guerre économique que nous livre Poutine parce que nous avons osé soutenir une démocratie agressée par son voisin est un moment où l’Europe peut enfin sortir de sa torpeur, cesser d’être un spectateur du monde, et y retrouver un rôle.
Ensuite, et surtout, il n’est pas vraiment exact de dire que la crise est entièrement due à la guerre en Ukraine. Elle est également due à la reprise économique post-covid, à la sécheresse, ou encore au manque d’investissement dans le parc nucléaire français.
Il ne faut pas se méprendre sur les causes profondes. Nous ne payons pas notre électricité plus cher parce que Poutine a coupé le gaz; nous la payons plus cher parce que l’Europe n’a pas d’indépendance énergétique. Parce que nous, Européens, depuis des dizaines d’années, acceptons que notre économie, mais aussi notre Etat-providence reposent sur des énergies fossiles que très largement nous importons – et je n’ai guère plus de sympathie pour le pétrole saoudien que pour le gaz russe.
Nous payons aussi une erreur économique majeure due à la doxa néolibérale de la Commission européenne voici plus de vingt ans: avoir libéralisé un secteur stratégique essentiel, celui de l’énergie, alors que celle-ci n’est pas seulement une marchandise commerciale : c’est aussi une denrée stratégique et un bien de première nécessité. Nous le voyons de manière éclatante aujourd’hui: en matière d’énergie, nous avons besoin de plus d’Etat. Parce qu’il faut de la planification et parce que l’accès aux ressources va devenir le fer de lance de tout le 21ème siècle.
Les Européens doivent utiliser l’opportunité actuelle pour se rendre indépendants, le plus vite possible, du gaz russe et même du gaz tout court. Tout comme nous devons nous rendre indépendants de l’ensemble des énergies fossiles. C’est à la fois une nécessité climatique et géostratégique.
Car cette crise est celle de l’absence d’indépendance énergétique de l’Union européenne. Et c’est bien cette indépendance qu’il nous faut reconquérir.
Triangle d’or
C’est la raison pour laquelle je souhaiterais lancer un appel. Un appel aux partis de la Vivaldi et à l’ensemble du monde politique. Un appel pour que notre pays se dote d’un plan énergétique à long terme, sur 25 ans. Pour qu’il se dote d’une planification qui engage plusieurs législatures et qui dépasse donc l’horizon de ce seul gouvernement.
Cette planification, comme j’ai eu l’occasion de le dire, concerne trois piliers: le renouvelable, le nucléaire et la modération énergétique.
Commençons par le nucléaire. Bien sûr, il y a le débat sur la prolongation des réacteurs.
Quelle cruelle ironie de l’histoire que de voir bientôt éteint le premier de nos réacteurs en pleine crise énergétique, ce qui accroîtra encore notre dépendance énergétique. Car sur le nucléaire, il est frappant, chers amis, de voir comment le vent a tourné. Vous vous en souviendrez, ici même, il y a un an, je plaidais pour qu’on prolonge les deux réacteurs les plus récents. Aujourd’hui, on est en train de se demander s’il ne faudrait pas en prolonger quatre, cinq ou six. Je réponds: oui, bien sûr, si les autorités habilitées estiment qu’il n’y a pas de risque, il faut évidemment prolonger le plus de réacteurs possibles.
Mais il faut déjà aller beaucoup plus loin. Il faut, de manière résolue, forte et planifiée, investir dès à présent dans la quatrième génération, en faisant de l’Union européenne l’un des piliers de cette énergie. La Belgique peut jouer un rôle moteur dans cette filière, à condition de s’y investir dès à présent. J’invite le gouvernement à ne plus perdre davantage de temps sur le sujet. Pour ça, il nous faut de la recherche, des ingénieurs, une liaison avec nos partenaires européens. Allons de l’avant, créons une véritable union énergétique et aidons notre pays à se doter, avec l’UE, de ce qui lui manque le plus aujourd’hui, comme nous le montre l’actuelle crise, c’est-à-dire une véritable indépendance énergétique.
Il nous faudra de l’énergie renouvelable, de manière massive, en poursuivant le développement des parcs actuels, et en investissant dans la mutualisation européenne de ces énergies. Nous en appelons ainsi à la création d’un marché commun de l’énergie et du climat, sous la forme d’un nouveau « traité de Rome » qui tirerait parti de nos différences climatiques sur le plan géographique : l’Italie et l’Espagne produiraient de l’énergie solaire, envoyant de l’électricité dans un réseau européen unifié, les pays d’Europe du Nord pourraient apporter les énergies éolienne et hydraulique propres à leur topographie. Les différents pays d’Europe mutualiseraient ainsi une partie de leur production en profitant de leurs atouts respectifs.
Il nous faudra enfin de la modération énergétique, terme que je préfère personnellement au triste mot de “sobriété”. Les données actuelles sont implacables: même une mobilisation massive du renouvelable et du nucléaire ne suffira pas à conserver le mode de consommation que nous offre, depuis les 70 dernières années, l’utilisation des ressources carbonées.
Cela signifie qu’à l’horizon de 20, 30 ou 50 ans, nous serons confrontés à une forme de décroissance par simple épuisement des ressources fossiles. Les technologies pourront freiner ce mouvement, mais pas l’empêcher. Pour gérer ce choc, même avec les parachutes, il faudra de toute façon recourir à une forme de modération énergétique. Pour ne pas subir la décroissance, il faut organiser la modération. Il faut, par exemple, se doter d’un plan pour isoler l’ensemble du bâti résidentiel en 25 ans et pour remplacer l’ensemble de nos chaudières à mazout, au gaz et au charbon par des pompes à chaleur. Plus que les éoliennes, plus que le photovoltaïque, la priorité doit être mise sur ce qui diminuera nos factures.
Nucléaire, renouvelable, modération : le seul réel débat de l’actuelle décennie consiste dans le “jeu” entre ces trois leviers; mais il ne fait nul doute qu’ils doivent être actionnés tous les trois, dès maintenant, de manière forte, résolue et planifiée. Sans choisir, sans les opposer, et sans davantage de tergiversations.
Et je vous l’affirme, dans cette posture précise, nous sommes plutôt seuls. Tous ceux qui, par idéologie ou calcul politique, excluent de leur vision l’un de ces termes sont dans l’erreur et nous mènent au désastre climatique et énergétique. L’écologie politique est, aujourd’hui, incapable d’inclure l’énergie nucléaire dans la solution, alors que cette ressource décarbonnée est le seul amortisseur dont nous disposons pour pouvoir décarbonner nos économies sans drame social.
Les libéraux sont incapables d’intégrer le concept de modération énergétique parce qu’ils sont idéologiquement inaptes à imaginer un monde sans croissance infinie, ce qui se profile pourtant devant nous par épuisement des ressources fossiles. Et ils se leurrent en s’imaginant que la technologie viendra nous sauver in extremis: l’épuisement des ressources est un fait physique que le caractère diffus et non pilotable des principales énergies renouvelables ne pourra jamais compenser.
Ce que j’ai appelé ailleurs “triangle d’or”, c’est la proposition politique d’arrêter de mettre ces trois leviers en compétition et d’investir massivement, et en même temps, dans l’énergie nucléaire nouvelle génération, l’énergie renouvelable et la modération, et de faire de ces trois piliers le cap sans retour de notre politique énergétique et climatique – c’est-à-dire de notre politique tout court tant ceci a de fortes implications économiques, sociales et géopolitiques.
Conclusion
Chers amis,
Nous allons avoir besoin de courage dans les semaines, les mois, les années à venir. Je pense que le monde politique doit d’urgence changer de ton et aller vers plus d’unité. L’époque est si grave que nous devons rassembler les bonnes volontés. Les défis énergétiques et climatiques demandent par définition une planification sur une génération, sur trois ou quatre législatures au moins. Il est donc grand temps d’arrêter les petits jeux d’egos. Parce que nous n’avons pas le temps. Nous n’avons pas le temps d’attendre que des écologistes sortent du dogme anti-nucléaire dans lequel ils nous ont tous entraînés depuis 20 ans. Et nous n’avons pas le temps d’attendre que les libéraux abandonnent leur dogme néolibéral et de croissance infinie.
Il nous faut de l’union parce que les enjeux devant nous, celui de notre indépendance énergétique et celui de la sauvegarde du climat, sont incompatibles avec le court-terme qui est celui de la médiocrité des jeux politiques. Les citoyens veulent de nous des solutions, mais aussi de la vérité et de la franchise.
Nous devons maintenant nous doter d’un horizon clair sur l’énergie et le climat. DéFI, fournisseur de solutions depuis plus de 50 ans, est prêt à y participer.
Je vous remercie.
François De Smet, président de DéFI
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