La téléréalité, ce « dîner de cons » dont nous sommes tous les invités

Billet radio pour la Première (RTBF), 4 juin 2013 

téléchargementImpossible, Arnaud, d’échapper au nouveau buzz créé par Nabilla, cette créature improbable modelée dans l’atelier des fabricants de téléréalité, et qui était advenue à la notoriété internationale par ses réflexions allégoriques sur l’essence du genre féminin qui ne serait, selon elle, qu’incomplétude et absence d’identité ontologique sans savon capillaire – concept plus connu par la litote « Non mais Allô quoi Allô t’es une fille et t’as pas de shampoing Allô » fin de citation.

En quelques mots, Nabilla est devenue une superstar qu’on s’arrache sur les plateaux télé, en ce compris ceux qui avaient plutôt habitué à résister à la médiocrité, tels le Grand Journal ou donc, dimanche dernier, le Supplément, émissions où elle vient se confronter à des sujets dont elle n’a rien à dire pour le plus grand appétit du public. Les producteurs invitent donc en toute connaissance de cause une personnalité qui ne doit sa célébrité qu’à la candeur – soyons gentils –  de ses réflexions. Le spectateur, puis l’internaute, est au rendez-vous de ces moments suspendus où le funambule du grotesque est invité à jongler au-dessus du vide sous la chape d’une fausse bienveillance, pour le plaisir de croquants espérant secrètement assister à une chute, avec ce même espoir honteux d’assister à un crash au départ d’un Grand Prix de Formule un. Et c’est évidemment ce qui arrive puisque tout est mis en scène pour.

Dans un premier temps, c’est drôle, bien sûr, parce que Nabilla est au rendez-vous, elle aussi. Elle sait ce qu’on attend d’elle, au point qu’on peut se demander quelle est au juste sa part de fausse candeur et de vraie naïveté dans le rôle de bimbo sans cervelle qu’elle offre si facilement à son public. Comme dans toute relation, il y a un contrat implicite. Nabilla ne peut ignorer qu’on la prend pour du jambon, mais elle y trouve son compte de notoriété en contrepartie. Dans sa hiérarchie des normes, cela reste le meilleur investissement possible, puisque de son point de vue être connue est sans commune mesure préférable à être reconnue. Plus rentable aussi, dans une société de buzz sur le web et de talks show qui rémunérera plus facilement un phénomène de téléréalité qu’un écrivain de romans discret ou un réalisateur de films intimistes.

Dans un second temps, pourtant, survient le malaise. Une désagréable impression survient toujours à contrecoup quand on assiste à la raillerie ou à l’humiliation de quelqu’un – gêne qui ne s’estompe pas lorsque que la victime est à moitié consentante. Cette honte passagère qu’on ressent pour avoir participé à la moquerie depuis ce mirador qu’est le groupe, et qui se dilue opportunément et commodément dans le rire de la meute. Cela nous renvoie loin, jusqu’aux cours de récré, où la meute humaine n’est pas la plus cruelle, comme on le dit parfois, mais simplement encore dépourvue des oripeaux de diplomatie et de respectabilité qu’offrira l’âge adulte ; une meute plus franche, et où l’esprit de la meute se résume à un seul enjeu : se moquer d’autrui pour ne pas devenir celui dont on se moque. Se liguer contre un bouc émissaire pour se sentir appartenir à un groupe, aussi pathétique soit-il. La personnalité doit se heurter au conformisme pour en tirer du caractère ; pour certains le chemin est plus long que pour d’autres, voilà tout.

Civilisation oblige, en grandissant l’effet de meute se socialise vers diverses formes, et domestique la raillerie, rend civilisée l’humiliation, et en module les critères. C’est l’effet « dîner de cons », en référence à la pièce et au film dont le héros invite des collectionneurs de boîtes d’allumettes ou de tire-bouchons à dîner en groupe pour les faire parler de leur passion et se moquer « dignement » d’eux. C’est aussi l’effet Strip-tease, du nom de ces émissions exposant sans commentaires, et pour un bonheur de voyeurs que nous avons tous été, des individus acceptant, par un mystère qui ne cesse d’étonner, d’échanger une célébrité douteuse contre une bouffonnerie éternelle. Eh bien, la téléréalité en général, et les phénomènes comme Nabilla en particulier, marquent une étape supplémentaire : la propulsion du « dîner de cons » en direct perpétuel. Nabilla c’est cela : un dîner de cons, version fast food, accessible à tous par écrans interposés, livrant victimes consentantes à la vindicte générale.

Certes, me dira-t-on, mais ces victimes sont adultes et consentantes, comme le nain du lancer de nain est consentant d’être lancé, où est le problème ? Eh bien le problème c’est que ça ne nous grandit pas de lancer un nain, fut-il d’accord d’être lancé. Exposer Nabilla sous du buzz, alors que le buzz est lui-même construit sur du vide ; provoquer la moquerie sous prétexte de la domestiquer ; tout cela n’est que le reflux pathétique d’un effet de meute dont, manifestement, les médias ne parviennent plus à se passer, tant est peu résistible la tentation de courir derrière les plus basses passions et d’offrir à un public nostalgique de sa volonté de puissance d’enfant quelques-unes de ces miettes de cours de récré, pour le rassurer et l’inclure avec les rieurs – c’est-à-dire avec les forts.

Rions donc avec Nabilla. Rions surtout de Nabilla. Feignons d’oublier qu’elle rejoindra un jour Loana et tant d’autres au cimetière anxiolytique des célébrités d’un jour broyées pour notre bon plaisir. Et faisons-le avec bonheur tant que cela nous fait oublier qu’on est, tôt ou tard, toujours le con de quelqu’un d’autre.



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3 réponses

  1. A quand FDS dans le Grand Journal ?
    Sur le fond, je reviendrai

  2. Nabila, a raison : elle utilise sa notoriété pour gagner sa vie et rembourser les opérations de chirurgie esthétique auxquelles elle a soumis son corps…elle est cohérente : femme-objet, autant en retirer à très court terme tous les bénéfices possibles.Qui piège qui ? Qui participe à la lapidation symbolique ? Les beaux esprits qui glosent sur le « star system » et les pipel’s ? Ceux qui regardent et n’avouent pas un certaine fascination envers autant d’audace, de plastic (avec « qu » ou sans « qu » :c’est le cas de le dire), d’artifice, de néant et paient quand même leur abonnement à Canal ?….ou pire, attendent que cela passe sur Internet, lieu de tous les échanges et de toutes les lâchetés …Alors, laissons Nabila, rions « avec » mais pas « de » Nabila…Le contraire ne serait qu’une posture hautaine et dénuée d’un minimum d’humanité…

  3. Il y a qqchose d’inquiétant dans cette promotion de la bétise, de la meute, du conformisme de masse et du g r o u p e (grégaire).Et du n a r c i s s i s m e le plus maladif.

    En effet, la pulsion et la t o u t e puissance puérile y ont à l’oeuvre.

    Cette même m e n t a l i t é de la perversité (psychologie de la pulsion et de l’omni puissance) était le moteur du n a z i s m e et surtout à l’oeuvre dans la population conformiste des années 30. (furieusement de retour au 21è siècle).Rupture et relâchement de la Loi de Civilisation.

    Dans les systèmes totalitaires, l’on ne r i t pas.
    Une des signatures (parmi d’autres) du fascisme, c’est la m o q u e r i e et le ricanement.L’humiliation de l’autre. Etre l’idiot du village.
    Un signe de régression sociologique vers le féodalisme.

    D’ailleurs l’humour est en chute libre dans nos sociétés de la peur et de la pulsion. Logique du r i c a n e m e n t = logique fasciste.

    Rien n’a donc changé ni évolué. Au contraire, le message est bien, celui-là : préparons le terrain fertile de l’irréflexion, activons cet habitus pervers, car nous avons prévu de réinstaurer ce système.

    Sans cette moquerie de meute, sans ce désir pulsif (régression) de toute puissance (moi fort-toi faible) et ce conservatisme absolu (les 3 K kindern kirche kuche ou encore la classique femme vénale, modèle psychologique tout droit issu de l’ultra conervatisme tradi. et de la domination masculine structurelle, voir Bourdieu) de la femme-objet, outil, machine, reproductive, les camps d’extermination, de travail ou autres n’auraient pu exister longtemps. Ils auraient trouvé sur leur chemin des adultes émancipés, sains et droit debout!
    I n d i v i d u é s au lieu d’infantilisés-grégarisés.

    Le con-sot-mateur est puéril et doit le rester.
    Une véritable démocratie n’a aucune chance d’exister sans adultes s a i n s et i n d i v i d u é s (ne pas confondre avec ce mot faux d’individu aujourd’hui martelé alors qu’il n’y a pas ou si peu d’individus véritablement émancipés, il y a bcp d’égocentrés, puérils nombrilistes, voyeurs, mateurs, et ricanants, dans ce gigantesque conformisme violent, à oeillères, abattoirs et concentration d’individus mort-né, il n’y a pas encore d’individus dans notre société de con-sommation, système qui active la pulsion).

    Etre n o r m a l, c’est pouvoir et vouloir se tenir droit debout quand (et même si) tout le monde penche.
    Etre n o r m a l, c’est r é s i s t e r. (pour ce il faut être c a p a b l e de v o i r où l’on va, pour ce, il faut avoir reçu une é d u c a t i o n et surtout de l’amour, c’est-à-dire avoir été r e c o n n u par ses parents! CE QUI EST TRES RARE. D’où le conformisme-tout-le-monde-le-fait-moi-aussi-alors-c’est-normal-non-laissez-pencher-aller et le désir d’humilier. Le désamour se transmet… et finit t o u j o u r s de la même façon).

    Le prix du danger (film 1983 Boisset sur les jeux télévisés) bientôt en prim’tim’ (cela marchera comme les arènes romaines, vous verrez!Puisque-tout-le-monde-le-fait-alors-ya-pas-de-mal-hein)

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