Voile : dépasser le symbole ou en rester prisonnier

Paru dans la Libre Belgique, 29 juin 2009

Une remarque préalable s’impose : il convient de ne pas être naïf sur ce qu’est le voile et ce qu’il peut véhiculer. C’est un signe ostensible d’une religion, qui s’inscrit bel et bien dans une relation à la femme et à la sexualité qui peut légitimement être polémique. En ce sens, poser la question de la restriction des signes distinctifs de religion ou de conviction en un lieu, pour autant qu’on tienne de la spécificité du lieu en question, est normal et nécessaire.

Pourtant, si on tente un point d’observation sociologique, la situation est moins manichéenne qu’il n’y parait depuis plusieurs jours. Il y a en réalité presque autant de femmes voilées que de motifs de le porter ; certaines par obligation ou pression bien sûr, mais d’autres par conviction libre, par attachement culturel ou… parce qu’on prétend les empêcher de le faire, tel le panneau qui  vous interdit de marcher sur le gazon dans un parc, et qui vous poussera à le faire alors que vous n’y aviez même pas pensé. Le postulat laïc sous-jacent – et jamais clairement exprimé d’ailleurs – selon lequel une femme voilée n’a pas de libre-arbitre par définition ne correspond pas systématiquement à la réalité, qu’on le veuille ou non, et l’existence d’une députée voilée le prouve en partie, raison du malaise qu’elle provoque. Le vrai problème est triple.

D’abord, dans une démocratie libérale, il faut pouvoir accepter, avec des limites liées à l’espace public bien sûr, l’expression des idées qui ne plaisent pas, sinon on brade une partie de ses principes. Le débat sur ces limites doit enfin avoir lieu, car de fait elles existent  – parfois légalement, et à tout le moins intuitivement. Il est possible d’en sortir à condition de partir à chaque fois de la nature de la relation en question – représentant ou non l’autorité, par exemple – et non dans une opposition stérile entre « voile partout » et « voile nulle part ».

Ensuite, et il est grand temps que cette dimension apparaisse dans le débat, on confond ici le thermomètre et la fièvre : de quoi le voile est-il le symptôme, et n’est-il pas quelque peu vain de vouloir régler le problème en traitant sa manifestation visible ? Si, dans une société marquée par la discrimination à l’embauche et la précarité, on ne s’adresse et s’intéresse aux communautés immigrées que pour leur faire la morale et non pour régler les problèmes socio-économiques qui les isolent du reste de la société, il ne faut pas s’attendre à obtenir autre chose qu’un repli identitaire. C’est ainsi que se multiplieront les signes par lesquels une communauté se sentant peu intégrée manifestera qu’elle existe, contre une société perçue comme assimilatrice et leur demandant de se fondre en elle, sans s’atteler à régler définitivement les problèmes d’emploi, de discrimination, de formation dont soufrent étrangers et Belges d’origine étrangère. Je fais le pari qu’en quelques jours de polémique, on vient de « créer » un nombre considérable de femmes fières de porter le foulard.

Enfin, et, surtout, il est préoccupant de vivre dans un Etat neutre où certains partis sont chrétiens, où ont siégé des ministres du culte comme parlementaires, où la religion est constitutionnellement enseignée dans les écoles… et où les laïcs qui ont abandonné sur ce genre de terrain se dédouanent sur une cible qui reste facile au regard des vrais enjeux : quid de l’existence de réseaux confessionnels ? Quid de l’organisation inégalitaire de la reconnaissance et du subventionnement des cultes ? Quid de l’enseignement dans les écoles officielles de cours de religion et de morale qui opère une ségrégation douteuse, en scindant les élèves sur un critère confessionnel durant le seul cours où les questions existentielles sont abordées, et qui aboutissent à ce que rares soient les jeunes adultes connaissant quoique ce soit d’une autre religion ou conviction que la leur ? Le vrai travail – ardu, certes – n’est-il pas à réaliser sur ce genre de terrain ?

En résumé : au-delà du symbole, au-delà de la tentation de se faire plaisir sur un terrain qui permet de se sentir laïc à peu de frais, puisse cette polémique ouvrir la question des identités non seulement sur le plan formel, par un arbitrage définitif de la liberté ou de l’interdiction de signes de conviction dans l’espace public, mais aussi sur le plan du fond, sur les causes véritables du racisme et du repli identitaire – réflexion sans laquelle le débat sur le voile continuera à rebondir indéfiniment au gré de l’actualité. C’est l’approche la moins facile, certes, car elle demande du courage et du travail à long terme. Luttons contre la dégradation des quartiers, la discrimination à l’embauche, la précarité et le chômage des étrangers et des Belges d’origine étrangère, remplaçons dans nos écoles les cours de morale et de religion par un cours commun de philosophie et d’histoire des religions, et nous enregistrerons des progrès considérables et réels – et non des victoires symboliques – sur la lutte contre toute forme de racisme et de communautarisme, en ce compris ses manifestations visibles. Le vrai combat devra se dérouler dans les têtes, pas au-dessus.



Catégories :Articles & humeurs

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2 réponses

  1. Le terme « voile » a déjà un poids sémiologique en lui-même, et si on commençait par parler de foulard?

  2. Marta,
    Pardonnez-moi ces précisions :

    Parlons « foulard de soie », « foulard de scout », « foulard de de Marylin », dans sa décapotable, « foulard » que, dans les années 60, les dames mettaient sur leur tête quand elles entraient dans la Cathédrale de Chartre, pour admirer les vitraux…

    « Voile « contient sa propre signification sémiologique en Français, en Europe Occidentale…Est-ce un poids ?…et alors ?

    Le foulard est un accessoire vestimentaire, le voile c’est une volonté d’affirmation identitaire, consubstantielle : les religieuses catholiques « prennent (et non portent) le voile »…on les voyait dans les écoles et dans les hopitaux…et les prisons…

    Voile et foulard ne sont pas synonymes : tout n’est pas égal à tout.

    Bernard HALLEUX

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