Billet radio pour la Première (RTBF), 1er février 2011 – Ecoutez le podcast
Pendant les consultations royales, la guérilla continue. Profitons donc du royal interlude pour faire un peu de psychologie de base de la négociation.
Cette crise est le paroxysme d’un phénomène qui s’accentue depuis des années : Flamands et francophones n’abordent tout simplement pas la négociation communautaire de la même façon. Les uns sont poussés dans le dos par un mouvement fort, qui puise ses racines dans une histoire tartinée de mythes, réels ou sublimés, axés sur une culture méprisée hier par une bourgeoisie fransquillonne arrogante, et enfermée aujourd’hui en Belgique dans l’assistanat éternel du prolétariat wallon – la réalité est plus nuancée, évidemment, mais le pouvoir de l’imaginaire est fort. Les autres résistent, viennent sans projet et sans demandes, sauf quelques demandes financières générées par le fait qu’on a mal négocié la fois précédente, et sont contents d’eux s’ils obtiennent la dilution et la déclinaison dans le temps des exigences flamandes.
Or, si vous vous amenez à une table de négociation avec des fortes revendications et que le camp n’en face n’en a aucune, vous avez en pratique déjà gagné parce que vous possédez le terrain. Je m’explique par un exemple. Imaginons, mon cher Arnaud, que je vienne vous voir en vous disant en vous me devez 1.000 euros, et que je souhaite les récupérer. Et ça fait longtemps que je vous parle de ces 1.000 euros, tellement longtemps, et avec une telle conviction que je vous ai peu à peu convaincu que vous me les deviez réellement, comme une vieille dette contractée par un de vos ancêtres. De guerre lasse, vous finissez ainsi par accepter d’en négocier les traites. Seulement, comme vous acceptez mon postulat de départ, selon lequel vous me devez cet argent, comme vous êtes sur mon terrain, vos réticences à ne pas me donner tout tout de suite renforcent ma conviction que cet argent est bien à moi ; les réductions de dettes et l’étalement dans le temps que vous me demandez m’apparaissent dès lors de plus en plus insupportables, révélatrices de votre mauvaise foi et – ce qu’on ne pardonne pas à son ennemi – de votre faiblesse. Et la négociation capotera parce que même les concessions immenses que vous me faites ne me suffiront pas ; vos réticences et demandes de compensation ne m’apparaîtront que comme la preuve de mon bon droit et de votre mauvaise foi.
Maintenant, imaginez qu’au lieu d’accepter mon point de vue, vous m’eussiez répondu : « Non. Et, en réalité, François, c’est vous qui me devez 1.000 euros. » La négociation prendrait assurément un autre tour. Eh bien voilà : les francophones n’ont pas de projet, ils ne sont pas porteur d’un mouvement qui puisse impressionner les Flamands. C’est pour cela qu’ils n’ont, au bout du compte, jamais gagné le respect de la NVA.
Certes, me direz-vous, mais n’y a-t-il justement pas des tas de commissions de réflexion Wallonie-Bruxelles pour réfléchir à je ne sais quelle fédération ou autre plan B ? D’accord, mais outre le fait que rien de compréhensible n’en sorte, qui a dit que le projet francophone ne pouvait pas concerner la Belgique ? Une Belgique réfédéralisée, par exemple, où certaines compétences repartiraient vers le niveau fédéral, où on tenterait d’inverser la logique centrifuge qui coupe effectivement l’opinion publique en deux… Oui, il y a de l’espace pour des revendications francophones qui seraient d’autant plus pertinentes qu’elles ne s’ancreraient pas sur un repli sur soi régionaliste, mais sur une identité plurielle, citoyenne, qui, elle, pourrait trouver des alliés chez de nombreux Flamands, du genre de ceux qui ont organisé la manifestation « Shame ».
Certes, pour cela il faudrait que les partis francophones fassent d’une telle vision leur discours, en campagne comme en négociation, qu’ils se fassent porter par leur population sur un message clair, positif plutôt que sur une posture de défense des acquis. Par ce simple fait, ils viendraient à la table des négociations avec une force et une conviction qui forcera, d’en face, le respect… et provoquera le doute. Jusqu’ici, nous n’offrons à la NVA aucune raison de penser qu’elle a tort d’être intransigeante.
« Si tu veux la paix, prépare la guerre », ou si vous préférez « Si vis pacem, para bellum ». J’en connais au moins un qui saisira le message.
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