Billet radio pour la Première (RTBF), 25 janvier 2011 – Ecoutez le podcast
Comment ne pas vous parler des 35.000 personnes qui, dimanche, ont battu le pavé bruxellois malgré un crachin frisquet pour clamer leur « honte » de ne pas avoir de gouvernement ? Certes, diront les mauvaises langues, ça fait toujours dix fois moins de manifestants que de visiteurs du salon de l’auto. Pourtant, même à défaut de savoir ce que cette manifestation était exactement, on ne peut pas dire que ce n’était rien. On en retiendra que, pour rassembler des gens très différents manifester ensemble, il est utile de ne pas trop préciser l’objet du rassemblement.
On retiendra aussi que le succès est dû à la reprise, comme slogan, d’un sentiment d’exaspération partagé mais qui a parfois des relents naïfs ; à entendre les manifestants, les partis au turbin depuis sept mois se lèveraient tous les matins avec comme ambition de battre le record du monde de pays sans gouvernement détenu par l’Irak, et il serait temps, donc, quand même, qu’ils songent à travailler un peu… On peut comprendre que cela crispe les négociateurs francophones, qui rappellent opportunément qu’on pourrait avoir un gouvernement demain si on acceptait toutes les revendications flamandes – je dis bien flamandes, puisque comme vous le savez les francophones n’en ont pratiquement aucune, si ce n’est de ne pas dépecer le niveau fédéral trop vite, et de taper un peu moins fort s’il vous plaît. C’est à peine si l’un d’eux a osé rappeler, ce week-end, que si ça ne tenait qu’à eux on aurait un gouvernement demain, on s’occuperait de matières sociales, économiques, d’environnement et que c’est seulement parce qu’il semblerait qu’on ne puisse plus dormir en Flandre sans une réforme de l’État que l’on s’amuse depuis sept moins à jouer à colin-maillard avec la NVA.
Ce qui est intéressant, et c’est l’une des grandes différences avec la manifestation de 2007 organisée par une fonctionnaire liégeoise anonyme, c’est le nombre non négligeable de Flamands présents – quatre des cinq jeunes organisateurs, d’ailleurs, étaient néerlandophones… En fait, la consigne de ne pas apporter de drapeaux belges, a posteriori, semble avoir surtout servi à faire manifester des Flamands contre le blocage actuel sans qu’ils risquent de passer pour d’affreux belgicains nostalgiques. Ce qui n’a pas empêché, pourtant, de voir la foule se colorer largement en noir-jaune-rouge. Les organisateurs peuvent nous dire ce qu’ils veulent sur l’absence de message dans l’appel à manifester ; à l’arrivée ceux qui sont venus ont bel et bien manifesté pour l’unité de leur pays, et contre le fait que bloquer un gouvernement pour des raisons nationalistes puisse être légitime. On ne risque pas de trop se tromper en affirmant que ni le Voorpost ni le Taal Aktie Komitee ne comptait beaucoup de marcheurs ce jour-là.
En fait, le plus intéressant est là. L’avenir de notre pays, politiquement, a peut-être le visage de ces jeunes Flamands en tête de cortège. Jeunes, branchés, ils ne portent pas en eux la haine et le rejet de la Belgique de papa – et pour cause : ils ne l’ont jamais connue. Non : ce qu’ils ont connu, et ce qu’ils élisent comme fruit de leur rejet, eux, c’est le nationalisme frileux qui place ses enjeux symboliques avant la réalité économique, budgétaire, sociale de leur génération.
Ces jeunes ne craignent pas la guerre, la dictature du prolétariat ou la tache d’huile francophone dans BHV, ils sont de leur temps : ils craignent le chômage, les délocalisations, le réchauffement climatique, le manque d’avenir. Ils ne défendent pas la Belgique nostalgique d’hier, avec drapeaux et boîtes de biscuits, mais la Belgique pragmatique d’aujourd’hui, multilingue, européenne, connectée, au centre du monde, celle qui s’affirme parce qu’après cinq minutes de cours d’économie politique à l’unif n’importe qui comprend que scinder un pays de dix millions d’habitants au 21ème siècle est une hérésie, que seul un romantisme d’un autre siècle dirigé par un historien regardant l’avenir avec un rétroviseur peut empêcher de voir. Qui sait si demain, à la surprise générale, ce ne sera pas de ces nouveaux enfants de Flandre que viendra l’avenir d’une Belgique tant détestée par certains de leurs parents.
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Cher François,
Je souhaite que ton analyse soit exacte et que la nouvelle génération des enfants de Flandre puisse apporter un nouveau regard sur la politique.
la question est de « savoir » si notre petit professeur d’histoire (Bartje) leurs en laissera le temps.
Car la scission de la Belgique est toujours à son programme.
Georges Cantraine
La Belgique de demain sera celle des jeunes, c’est à eux de montrer le chemin.
Restons optimistes, les enfants de parents conservateurs et même plus sont souvent de gauche.
C’est vrai qu’il y a beaucoup de lisier en Flandre, c’est bon pour les jeunes pousses.