Sarko, l’ennemi intime

Billet radio pour la Première (RTBF), 6 mars 2012 

Nous sommes le 6 mars 2012. Dans deux mois, jour pour jour, la France aura un nouveau président de la république. Les médias tentent bien de générer du suspense, multiplient les enquêtes pour que le moindre frémissement de l’opinion soit sujet à analyse. Mais sondage après sondage, une réalité implacable se dessine : il faudrait un miracle pour que Nicolas Sarkozy garde son emploi. Certes, le politiquement correct oblige à garder une certaine prudence, à rappeler qu’en deux mois bien des choses peuvent arriver. Mais épargnons-nous tout de même l’usuelle litanie sur la contingence des sondages : non seulement aucun d’entre eux n’a prédit la victoire de Sarkozy depuis que son adversaire socialiste est désigné, mais surtout sa côté de popularité personnelle n’est pratiquement jamais remontée des abimes où elle s’est retrouvée rapidement, après quelques semaines seulement d’état de grâce. Bref, précaution ou pas, si son adversaire ne s’effondre pas par lui-même, c’est cuit. Car l’opposition au président n’est pas simplement politique ; elle est aussi viscérale, voire… personnelle.

En effet, avec Sarko, c’est d’abord une question de personnalité avant une question de politique. Rarement un personnage n’aura cristallisé autant de passions diverses. Il a été élu en 2007 par une réelle vague d’espoir, par laquelle il incarnait un changement de génération, une énergie, un besoin de réforme. Il avait su rassembler au-delà de son camp grâce à cette énergie, parce qu’il rassurait davantage que son opposante d’alors, Ségolène Royal, dont les envolées quasi-mystiques et la personnalité erratique faisaient frémir jusqu’aux plus disciplinés des électeurs de gauche.

Tel est le problème : une élection présidentielle où concourt Sarkozy est un référendum, axé en premier lieu sur sa personnalité. Or cette personnalité a déçu et dérouté les Français, et cette déception est proportionnelle aux immenses attentes portées par cet animal politique, qui a voulu incarner l’action au point que son omniprésence l’expose, plus que ses prédécesseurs, à montrer les excès de son caractère, de ses colères, de ses faiblesses. Ses prédécesseurs n’étaient sans doute pas plus vertueux que lui ni même davantage équilibrés, mais ils laissaient à d’autres le soin d’exécuter les basses œuvres. Sarko a voulu être partout. Bien joué : Il a créé un électorat, toutes tendances confondues, qui ne veut plus le voir nulle part. Rarement on a entendu de témoignages aussi virulents d’anciens électeurs excluant absolument de voter pour leur ancien candidat. Rarement on a senti un tel mélange d’irritation et d’exaspération. Rarement le rejet n’a semblé tant lié à une personnalité, à un caractère bien plus qu’à une politique. A tel point que le bilan de Sarkozy, qui n’est pourtant pas calamiteux dans tous les domaines, n’est même plus un enjeu. Il n’est pas certain qu’un autre aurait mieux géré la crise financière, la crise de l’euro ou le printemps arabe. Mais ce qu’on en retient pourtant aujourd’hui ce sont les excès : le Fouquet’s, le yacht, la tentative de parachutage de son fils, les errements sur l’identité nationale ou les Roms. Les intentions de vote au second tour, même si l’écart se resserrera, sont trop larges pour être rationnelles : c’est le rejet de Sarkozy qui se dessine, bien plus que l’adhésion à Hollande. N’importe quel candidat PS aurait eu toutes ses chances, à condition de paraître « normal » – il faut rendre crédit à François Hollande de l’avoir compris tôt, et à son parti d’avoir su éviter de se jeter à nouveau dans les bras d’un candidat anxiogène.

Jusqu’au 6 mai, bien sûr, le président-candidat se battra, dopé par ce défi semblant impossible ; mais comment ne pas constater combien la fébrilité a envahi son camp. La course effrénée derrière les idées du FN illustre une stratégie de « football panique » à moitié improvisée, là où Sarko avait su gagner en 2007 en rassemblant sans diviser, en s’abstenant d’excès aussi inutiles que peu honorables. Car ce n’est pas Marine Le Pen qui le fera perdre, elle dont l’abyssale inconsistance éclate au grand jour depuis qu’elle tente de faire croire que son parti a un programme économique. Ce n’est pas non plus François Hollande, lui qui peut se permettre le luxe de rester à l’extérieur du ring, lui dont on ne connaît finalement presque rien, et qui va offrir à la France un président élu non par espoir mais par dépit. C’est Sarkozy lui-même, qui perdra sans doute en 2012 exactement là où il avait gagné en 2007, par les œuvres de passions qu’il avait lui-même su si bien faire naître.

Non seulement jamais la roche tarpéienne n’a semblé aussi proche du Capitole ; mais surtout jamais les croquants ne se sont pressés si nombreux pour assister à une chute.

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Catégories :Chroniques Radio

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2 réponses

  1. comment est il possible de condamner Sarkozy aussi globalement
    comment ne pas déceler que forcément lorsque on veut changer les choses on ne se fait pas que des ennemis. Il est fabuleux d’intelligence d’énergie et d’audace dans des propos sincères.
    La crise mondiale est telle qu’il est stupide d’imputer à un seul la responsabilité d’une situation mondiale plus que complexe

Rétroliens

  1. Interview dans l’Echo sur la campagne présidentielle française | Politique belge (et autres…)

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