Billet radio pour la Première (RTBF), 22 janvier 2013 – Ecoutez le podcast
Lance Armstrong est un homme qui prend au sérieux la tradition des bonnes résolutions. Sa confession fleuve chez Oprah a fait le tour du monde, suscitant une flopée de réactions allant de l’indignation plus ou moins sincère à l’embarras le plus touchant, tel celui des commentateurs sportifs qui manquent de mots pour exprimer combien ils se sentent cocus d’avoir relayé avec verve et émotion les exploits de l’ex-septuple vainqueur du Tour de France.
Deux aspects sont particulièrement dérangeants.
L’opacité persistante, d’abord. Armstrong avoue s’être dopé… et c’est tout. Pas de révélation sur le système qui l’a entouré. Résumons la situation : voilà un homme reconnaissant s’être dopé durant les sept années où il remporta le Tour de France, sans être jamais officiellement contrôlé positif. S’il est acculé aujourd’hui, rappelons-le, ce n’est nullement parce qu’il a été pris un contrôle, mais par un faisceau de présomptions, de témoignages et de preuves indirectes dont le poids a fini par l’accabler. Plus fort : il a commencé en 1999, c’est-à-dire un an après l’affaire Festina, souvenez-vous, où une équipe entière avait été exclue du Tour, non pas là encore suite à un contrôle positif, mais parce qu’un soigneur de l’équipe avait été contrôlé à un barrage routier avec sa voiture remplie de fioles d’EPO. On est donc en droit non seulement de conclure que les contrôles sont en retard de trois guerres, mais aussi de fortement se demander si les quelques coureurs pincés ne sont pas simplement les moins organisés ou les plus voyants. Eh bien oui, Lance, sept tours, ça allait finir par se voir, tout de même, par susciter des jalousies, des bavardages. Sept tricheries organisées, ce sont autant occasions de faire des erreurs et d’énerver son monde. Qui sait s’il n’aurait pas eu moins d’ennuis en se contentant de quatre ou cinq ? Orgueil, quand tu nous tiens… Pourtant, sur l’organisation, Armstrong reste muet. Les condamnations les plus fortes ne sont pas venues du monde du cyclisme. Les cyclistes, en gros, nous disent : « Oui c’est triste mais il faut aller de l’avant, regarder l’avenir ». Voilà. Circulez, il n’y a rien à voir. Ils disaient la même chose en 1998. Le monde du vélo a raison de constater qu’on s’intéresse davantage à son sport qu’à d’autres en matière de dopage. Mais son omerta manifeste qui résiste à tous les scandales ne rassure pas.
Le mensonge continu, ensuite. Il peut paraître incroyable au commun des mortels qu’un an à peine après l’affaire Festina, un coureur ait décidé de se doper et de mentir aussi effrontément au monde entier, avec les risques que cela comporte. Or, en réalité, peu de gens ont assez de cynisme en eux pour affronter en face le mensonge de ce qu’ils sont envers le monde. Ne faut-il se pas mentir aussi à soi-même pour correctement mentir aux autres ? Nous avons tous des attitudes dilatoires pour éviter le contact brutal et frontal avec ce qui nous renvoie la partie de nous qui nous plaît le moins.
Je me souviens de la ligne de défense d’Armstrong lors de ses années de gloire, et alors que les premiers soupçons se portaient sur lui. Il répliquait en gros : « Je suis désolé pour vous, désolé que vous ne puissiez pas croire à cette belle histoire ». Sous-entendu, comme il l’a répété à Oprah, la belle histoire du gars qui gagne contre le cancer, remporte sept Tours de France et fonde une joyeuse famille. Si on lit entre les lignes, c’était déjà une extraordinaire forme d’aveu. Au fond, la relation entre Armstrong et le public n’est qu’un grand malentendu : on l’a pris pour un sportif, alors qu’il se voulait raconteur d’histoires. Sincèrement. Il nous racontait une histoire et il nous demandait d’y croire, et sans doute a-t-il cru que c’était là son travail : vendre du rêve. Et sans doute, quelque part, y croyait-il lui-même aussi. Il puisait dans la beauté de cette histoire la force de se convaincre. Il puisait dans l’inspiration qu’il donnait aux autres la légitimité de son mensonge. Fonder avec ses gains une fondation de lutte contre le cancer parachevait ce purgatoire moral. C’est ainsi qu’on peut assumer l’incroyable énergie psychique nécessaire pour mentir aussi violemment. Mais cela ne marche qu’en se protégeant de tout ce qui peut faire fléchir la barrière, raison pour laquelle Armstrong cadenassait tant sa communication. Cela l’a aidé à rester dans son propre monde. Mais c’est cela aussi, inconsciemment, qui a forgé les premiers soupçons.
On se crée ainsi une réalité de substitution, dans laquelle, pour prendre les propres mots d’Armstrong, se doper c’est comme mettre de l’eau dans son bidon, c’est dans la norme. Comme le disait Richard Virenque, en répondant un jour une énième fois à la question de savoir qu’il s’était dopé : « Dopé, dans quel sens ? Tant qu’on n’est pas contrôlé positif, on n’est pas dopé ». Tout était dit. Cela me rappelle un de mes profs, à l’école, qui expliquait fièrement qu’il n’était pas interdit de tricher à l’interro mais de se faire prendre. Sous-entendu : si tu es assez malin et courageux pour tricher sans te faire avoir, tu mérites tes points autant que le pauvre gars qui a étudié. La même logique imprègne une bonne partie de la société, et inconsciemment nous la validons. Tombons-nous sur Lance Armstrong aujourd’hui tous comme un seul homme parce qu’il a triché, ou parce qu’il a triché et qu’il s’est fait prendre ? Ne gardons-nous pas en nous, honteusement enfouie entre l’envie et la volupté, une admiration secrète pour ceux qui osent tricher, osent prendre les choses qui sont à leur portée et ne se laissent pas brider par l’étouffoir de règles ne faisant que substituer une inégalité à une autre ? Nous regardons en tout cas le Tour de France en sachant qu’il y a de la triche, et en pleine conscience que cela fait partie du jeu.
Cette histoire renvoie donc aussi aux attentes du public face à un sport professionnel devenu spectacle et business. C’est le montant des enjeux qui pousse des sportifs à prendre d’aussi gros risques, et ce sont les attentes du public qui font monter les enchères. La déclaration du commentateur Rodrigo Beenkens, de cette honorable maison, est touchante et symptomatique à cet égard : il s’est excusé d’avoir vendu du rêve ! Là encore, quel aveu remarquable : car enfin, n’est-pas précisément du rêve que le public veut ? Toute personne qui regarde quelque chose dans l’optique de se distraire, qu’il s’agisse d’un grand prix de Formule 1 ou d’une fiction, ne sait-elle pas qu’il y a une part de jeu, de faux, d’esbroufe, partout où il y a spectacle ? C’est notre conception collective du sport devenu spectacle, dont les protagonistes sont payés comme des stars du show business, qu’il faut aussi pouvoir remettre en cause. Coincer les tricheurs comme si le monde était en noir et blanc, c’est bien ; s’interroger sur les vocations de la tricherie, c’est mieux. Tant qu’on restera fascinés par ces hommes en sueur qui escaladent le Mont Ventoux suivis par une caravane vendant des camemberts, nous générerons des individus qui confondent exploit sportif, argent et notoriété, et qui seront prêts à prendre tous les risques pour remplir leur panier de provisions et le nôtre d’émotions fortes.
Le sport de haut niveau est devenu un spectacle qui attire à lui l’argent et la gloire, et donc tout ce l’argent et la gloire attirent. Si nous voulons autre chose, revoyons nos attentes à la baisse, ou n’en attendons sans naïveté que le divertissement qu’on peut attendre d’un spectacle. Dans cette perspective, puisque tout cela n’est au fond qu’un immense malentendu, voyons le côté à moitié plein du verre, comme l’humoriste Gaspard Proust : « Armstrong, c’est peut-être pas un exemple pour les jeunes qui font du vélo… mais en revanche quel exemple pour les toxicomanes qui n’en font pas ».
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Magnifique conclusion !
Et si on légalisait le dopage ? De sorte de voir en spectacle la mort sur les routes de tous les sports, du pain et des jeux dans l’arène comme durant le jadis décadent …
Utopie. Bannissons une fois pour toute la c o m p é t i t i o n !
Le dopage, une carrière déviante.
Dans leur ouvrage L’épreuve du dopage, C. Brissonneau, O. Aubel et F. Ohl étudient en sociologues les trajectoires des coureurs cyclistes, professionnels et amateurs, qui utilisent des produits dopants. Leur approche renvoie dos à dos les partisans de la répression et ceux de la libéralisation de ces pratiques, destinées avant tout à soutenir une charge de travail particulièrement éprouvante.
http://www.laviedesidees.fr/Le-dopage-une-carriere-deviante.html
Une solution qui aurait le mérite de la franchise serait de calquer tous les autres sports sur le catch à l’américaine : tout le monde sait que c’est du pur divertissement, un spectacle truqué d’avance où tout est bidon mais somptueusement mis en scène, codifié et ritualisé comme dans un film de Sylvester Stallone (avec ses bons, ses mauvais, ses traitres…), pour le plus grand plaisir des amateurs, dont je ne fais pas partie (mais je ne regarde pas le cyclisme non plus).
le sport et le spectacle, deux univers différents;
le sport, c’est l’activité individuelle, même au sein d’une équipe, qui permet de se dépasser, de s’épanouir physiquement, et intellectuellement, seul et ensemble; c’est dépasser ses propres limites, fût-ce pour vaincre l’adversaire, individuel ou équipe, encore une fois; avec à la clé, la satisfaction d’avoir fait le maximum et la convivialité entre compétiteurs de son camp et du camp opposé réunis après l’effort; nul besoin de quelque dopage que ce soit; et le public, c’est les amis et les petites amies; j’ai connu, quelle belle ambiance!
le spectacle, c’est toutes les formes de rêves vendues et organisées par des spéculateurs et des sponsors qui n’ont pour référence que l’audimat dans un monde purement mercantile, où l’athlète et l’artiste ne sont que l’outil qui permet aux uns de rêver, aux autres de s’enrichir; on s’émeut de la mort d’une chanteuse camée jusqu’aux oreilles, mais on ne lui fait aucun procès moral; alors pourquoi en faire à des cyclistes qui, pour répondre aux défis titanesques qu’on leur impose, prennent de l’EPO ou quelque produit que ce soit, afin de se croire les dieux du stade ou de la scène, et qui répondent en ce faisant aux attentes du public et des organisateurs?
je n’ai aucun problème à dire à ces athlètes que 1. tout est permis, tant que fonctionne l’audimat, puisque telle est la règle; 2. qu’ils sont libres d’y participer ou non; mais s’ils y participent, c’est à leurs risques et périls; et s’ils s’enrichissent outrageusement, tant mieux pour eux; et s’ils y laissent leur peau, tant pis, mais c’est toujours la règle; vae victis; l’hypocrisie des médias et des organisateurs, qui sont sont les premiers responsables de ces excès, m’exaspère au plus haut point;
que mon approche paraisse simpliste, je l’assume; mais une réponse simple et interpellant les responsabilités n’est-elle pas souvent la moins mauvaise?
Armstrong fera-t-il atterrir le dopage ?
Le docteur De Mondenard est sceptique : la lutte antidopage resterait selon lui un combat de façade.
Extraits de l’entetien :
« Quasiment 100% des sportifs de haut niveau se médicalisent. Cela ne veut pas dire qu’ils prennent tous des produits interdits mais qu’ils sont dans une conduite dopante. A ce que je sache, la compétition n’est pas une maladie. »
A propos de Merckx. « C’est pareil. Il n’a toujours pas changé de braquet. Qu’il arrête de nois dire qu’il carburait aux vitamines. »
Source : Le Soir | 25.01.2013 http://www.lesoir.be/171348/article/sports/cyclisme/2013-01-25/armstrong-fera-t-il-atterrir-dopage